C’est un grand paradoxe. Alors que le flou artistique qui enveloppe la réforme des retraites va paralyser la France à compter du 5 décembre, la poutre maîtresse de l’édifice est laissée aux oubliettes : la démographie. Ni le gouvernement, ni la majorité des Français ne semblent s’en préoccuper, bien que la plupart jugent indispensable une mise à plat de notre système de retraites pour en assurer la pérennité.

Trois paramètres peuvent être « bidouillés » pour sauver les retraites à moyen terme : la hausse des cotisations des actifs, la baisse des pensions des retraités, l’augmentation de la durée du travail. Mais quels que soient les savants dosages qui seront pratiqués dans l’espoir d’éviter une explosion sociale, le choc entre une natalité en berne et l’allongement de l’espérance la vie est inscrit, lui, dans les projections démographiques. L’espérance de vie à la naissance augmente chaque année en moyenne de deux mois à un trimestre depuis 50 ans (passant de 71,5 ans en 1967 à 82,5 ans en 2017). Parallèlement, la natalité, qui assurait de justesse le renouvellement des générations en France, subit une baisse continue depuis 2015, effet du saccage de la politique familiale pendant le quinquennat de François Hollande (gel des allocations familiales, abaissement drastique du plafond du quotient familial, mise sous condition de ressources des allocations familiales, diminution du complément de mode de garde etc.) Avec 758 000 naissances en 2018, soit 12 000 de moins qu'en 2017, l'indicateur conjoncturel de fécondité (la somme des taux de fécondité par âge d'une année) est tombé à 1,87 enfant par femme, alors que le seuil de remplacement des générations est de 2,05 (soit 205 enfants pour 100 femmes en âge de procréer). Sur la pente actuelle, le déséquilibre entre le poids croissant des retraités et le poids décroissant des actifs rendra la situation insupportable.

C’est ce que refuse de voir une société libertaire qui a mis toutes ses complaisances dans la sexualité récréative au détriment de la fécondité charnelle et spirituelle (engendrer, éduquer). Le marché accompagne et même souvent précède cet individualisme hédoniste qui, en coupant la sexualité de la procréation et en désagrégeant la famille, crée une rupture de civilisation sans précédent. Quand les désirs individuels prennent le pas sur le bien commun, les conséquences s’enchaînent : le retour de l’hiver démographique et la rupture de solidarité entre les générations sont les causes premières de la crise des retraites. Toutes les mesures techniques actuellement envisagées pour « sauver les retraites » n’auront pas d’effet durable sans le retour d’une politique familiale digne de ce nom.