
La Chine va-t-elle armer la Russie ?
Pas de naïveté à avoir quant à la stratégie de la Chine : le but du Parti Communiste Chinois (PCC) est d’assurer son maintien au pouvoir en abattant la domination occidentale sur le monde. C’est le rêve d’un « siècle chinois ». Or, Pékin est à la croisée des chemins. D’un côté, la Russie – qui combat aussi la domination américaine – a engagé un bras de fer avec l’OTAN sur le terrain de l’Ukraine. Une victoire décisive de Moscou aurait des conséquences graves - voire fatales - pour l’ordre mondial voulu par Washington. Une aubaine pour la Chine... Mais d’un autre côté, le pouvoir du PCC est lié à la promesse faite au peuple chinois d’une croissance économique forte, qui permet aussi au pays de renforcer son influence sur le monde. Or, l’économie chinoise a été gravement affaiblie par trois années de politiques draconiennes anti-Covid. Les multinationales occidentales se sont rendu compte de leur dépendance aux usines chinoises : la « nouvelle route de la soie » pourrait être évitée, voire coupée. Pékin a engagé une grande offensive de charme en envoyant ses meilleurs diplomates pour convaincre ses principaux partenaires (en particulier européens) de reprendre les affaires gelées par la période Covid.
En plus des sanctions imposées par Washington, armer Moscou annihilerait les efforts diplomatiques chinois en Europe qui est le premier partenaire commercial de la Chine. Le commerce avec la Russie (dont l’économie a un poids équivalent à celle de l’Italie) ne soutient pas la comparaison. L’administration américaine a souligné cet enjeu : « les Chinois ont le choix entre commercer avec les pays qui soutiennent l’Ukraine – et qui représentent 50% de l’économie mondiale – et faire affaire avec la Russie. » Il n’empêche, la Maison Blanche a de bonnes raisons de s’inquiéter : la fourniture de matériels militaires chinois aux Russes pourrait à court terme assurer une victoire russe. C’est une guerre d’usure qui se livre sur les plaines et les villes ukrainiennes. Les Russes ont l’avantage du nombre mais les Ukrainiens ont de bien meilleures armes fournies par les Occidentaux. On a tendance à oublier que le complexe militaro-industriel soviétique qui a fait peur au monde n’existe plus. Il suffit de regarder (l’essai en lien contient un tableau intéressant) la distribution du marché militaire mondial pour constater que la Russie est devenue un acteur mineur (une seule firme russe figure parmi les « top 20 »). Les États-Unis dominent largement ce marché mais la Chine a progressé très rapidement, devenant un concurrent sérieux. Finalement, 2023 ne déroge pas à la règle des conflits du siècle dernier : la capacité industrielle est un facteur décisif.
La priorité des Chinois reste de tout faire pour faciliter un processus de paix. D’où le plan proposé récemment. Et la situation économique de la Chine reste trop fragile pour prendre des risques. Pékin sait que les services de renseignement américains sont sur le qui-vive : impossible d’espérer des livraisons d’armes clandestines. Le danger, souligne N.S. Lyons, est que si la Chine se sentait acculée à passer outre pour aider Moscou – elle serait en mesure d’armer la Russie massivement (munitions et drones). La logique d’escalade des Occidentaux pousse la Chine dans cette direction car une défaite russe est impensable pour Pékin. De plus, l’offensive économique menée par Washington en coupant la Chine du marché des semi-conducteurs de pointe est le signe qu’elle sera la prochaine cible si la Russie devait être défaite. Donc, tant que les forces russes parviennent à remporter des victoires tactiques, à sécuriser les territoires gagnés, les Chinois devraient rester neutres. Mais si de nouvelles livraisons occidentales renversaient le rapport de force, leur attitude changerait. Car les Chinois le savent : c’est l’équilibre mondial qui se joue sur les plaines ukrainiennes.
