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Julian Assange enfin libéré : le parcours tourmenté du fondateur de Wikileaks

Par Peter Bannister - Publié le 04/07/2024 - Photo : TOPSHOT - Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, lève les pouces à son arrivée à l'aéroport de Canberra, le 26 juin 2024, après sa libération. (William West / AFP)
Après une bataille judiciaire qui a duré depuis 2010, le créateur de Wikileaks Julian Assange a finalement été libéré fin juin 2024. Héros pour certains, traître pour d'autres, il reste une figure controversée. Sa carrière de hackeur le plus célèbre du monde a connu des heures de gloire mais aussi ses zones d'ombre, suscitant un débat qui n'est pas prêt de s'éteindre.

Julian Assange, héros de la liberté d'expression ou traître à l'Occident ? Après 7 ans d'asile à l'ambassade d'Équateur à Londres et 5 ans dans la prison anglaise de Belmarsh, le célèbre fondateur australien de Wikileaks est enfin libre grâce à un accord avec le gouvernement américain. Assange risquait jusqu'à 175 ans d'incarcération en cas d'extradition vers les États-Unis. Toutefois, une cour dans le territoire américain des îles Mariannes a réduit cette peine à 62 mois, soit l'équivalent du temps qu'Assange a déjà passé en détention. En échange, il a plaidé coupable pour « obtention et diffusion illégales d'informations classifiées relatives à la défense nationale » (des États-Unis, ndr) — soit un seul des 18 chefs d'accusation retenus contre lui.

Si la libération d'Assange a été majoritairement accueillie avec soulagement, il reste un personnage controversé. Ses nombreux partisans soulignent ses mérites en tant que lanceur d'alerte, en particulier sa dénonciation des bavures des États-Unis pendant les guerres d'Afghanistan et d'Irak. Il avait diffusé entres autres, en avril 2010, une vidéo montrant un massacre de civils à Bagdad par les troupes américaines. La même année, un mandat d'arrêt international a été délivré contre Assange par les procureurs suédois pour des allégations d'agression sexuelle. Il a alors argué que les accusations n'étaient qu'un prétexte et que c'étaient les États-Unis qui voulaient se venger de ses révélations — énoncé favorablement accueilli par beaucoup.

À ses débuts, Assange, vite auréolé d'une série impressionnante de prix, avait une respectabilité suffisante pour que Wikileaks collabore avec le New York Times, The Guardian, Le Monde, Der Spiegel et El País. Ces médias sont cependant devenus plus réticents ensuite : Assange n'expurgeait que très peu les documents révélés par Wikileaks, ne protégeant pas ses sources. Le cas de 250 000 câbles diplomatiques américains publiés tels quels en 2011 l'illustre bien. C'est à cette époque que beaucoup ont commencé à voir en Assange un imprudent, agissant contre la déontologie journalistique. Pour ses détracteurs, il serait davantage un activiste qu'un journaliste : les révélations de Wikileaks seraient sélectives, fustigeant les États-Unis mais passant sous silence les défauts éventuels des régimes hostiles à Washington. Par exemple, les Afghans avaient fourni des informations aux Américains contre les Talibans que Wikileaks a publiées. Interrogé sur le risque de représailles, Assange estimait que ceux qui avaient choisi d'être des informateurs « méritaient » leur mort si elle survenait. Autre cas : des câbles américains reçus par Wikileaks ont été transmis au dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko par l'intermédiaire d'Israël Shamir. Ami proche d'Assange et antisémite notoire, Shamir a fait l'éloge de la répression brutale de ses opposants par Loukachenko après les élections de 2010.

La zone d'ombre la plus persistante dans le parcours d,'Assange reste pourtant ses relations avec Moscou. En 2012, il a présenté l'émission The World Tomorrow sur la chaîne d'État Russia Today (RT) en 2012. L'année suivante, Wikileaks a orchestré la fuite du lanceur d'alerte et ancien employé de la CIA Ed Snowden de Hong Kong vers la Russie. Assange était alors déjà en asile politique à l'ambassade d'Équateur de Londres. En 2016, avant les élections américaines, il a publié des dizaines de milliers de courriels piratés visant à compromettre Hillary Clinton — pour qui il n'a jamais caché son antipathie. Beaucoup ont allégué qu'Assange détenait ces documents grâce aux hackeurs russes ; le Kremlin et Wikileaks ont démenti mais les soupçons de leur connivence ont encore grandi quand Wikileaks a refusé de publier une importante cache de données sur la Russie. Selon The Guardian, des diplomates équatoriens et russes auraient planifié la création d'un poste diplomatique pour Assange en Russie, l'idée étant qu'il quitte Londres la veille de Noël 2017 à bord d'une voiture de l'ambassade équatorienne. Cela lui aurait permis d'échapper à la menace d'une extradition vers les États-Unis, mais le plan a été abandonné de peur que le gouvernement britannique n'arrête Assange, ne reconnaissant pas la validité de ses documents diplomatiques.

Presque tous s'accordent à dire que l'acharnement des États-Unis contre Assange, citoyen australien, était excessif et inutile. Pourtant, son passé reste contesté, y compris dans son pays natal, où Sharri Markson de Sky News a été la dernière d'une longue liste de journalistes juifs anglophones à l'excorier. Il est difficile de présenter Assange comme un apôtre désintéressé de la liberté d'expression. Ses relations à l'Amérique ressemblent plutôt à une vendetta réciproque dans laquelle, au nom de son concept d'une lutte pour la justice, il s'est parfois laissé manipuler par Moscou. Il faut également noter qu'Assange n'est pas sorti totalement victorieux de son combat. Il n'a gagné sa liberté qu'au prix d'un aveu : ses activités ont enfreint la loi américaine de 1917 sur l'espionnage. Ce constat a d'ailleurs alarmé bon nombre de commentateurs en raison du précédent qu'il pourrait créer à l'encontre de futurs lanceurs d'alerte.

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Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, recouvre la liberté
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