Société
J'irai cracher sur vos crèches
Samedi dernier place Saint-Georges à Toulouse, un spectacle de crèche vivante était agressé par une cinquantaine de militants « anticapitalistes » au cri de « stop aux fachos », « stop aux cathos », « les cathos sont des bourgeois ». Je ne m’étais pas fait l’écho de cet événement dans une LSDJ, attendant de voir quelles réactions celui-ci allait susciter. La couverture médiatique fut satisfaisante à l’échelle locale. La Dépêche du Midi du très radical-socialiste Jean-Michel Baylet relata les faits honnêtement. Loubna Chlaikhy posa ainsi la question en ces termes : « Pourquoi l’événement a-t-il été écourté ? » Oui, « écourté » et non « interrompu », comme le relayèrent les autres media. Les deux verbes ne sont nullement synonymes : l’association Vivre Noël autrement n’eut d’autre choix que de mettre fin à la représentation, laquelle se déroulait depuis huit ans sous les auspices du Capitole. Le maire Jean-Luc Moudenc (LR) condamna ces agissements, rappelant que le spectacle était « autorisé comme chaque année ». Sauf que nulle force de police ne s’interposa, alors que des agents se trouvaient sur les lieux. Cette voie de fait ne fut pas sans conséquences : à Paris, le marché de Noël solidaire prévu à la mairie du XXe arrondissement refusa les Conférences Saint-Vincent de Paul au motif qu'après Toulouse, d'autres incidents de même nature pourraient survenir. Cette reculade pose la question du maintien de l’ordre et de la paix civile. Si une minorité organisée peut interdire la manifestation d’un groupe, la société risque fort de devenir invivable. Imagine-t-on les usagers de la RATP allant perturber un cortège de grévistes ? Depuis quelque temps, on assiste à ce que j’appellerais une « weimarisation » du pouvoir régalien. Si samedi dernier, le Capitole capitula, il existe des précédents :
- à Bordeaux, le 24 octobre, les assos LGBT+ et féministes empêchèrent la philosophe Sylviane Agacinski de faire sa conférence à l’université Montaigne. La rencontre fut annulée, sans autre forme de procès. Nulle autorité ne s'en offusqua pour rétablir dans son droit l’épouse d’un ex-Premier ministre ;
- le 12 novembre, des « étudiants » interdirent la tenue d'une autre conférence, celle d’un ancien chef d’État (!), François Hollande, cette fois à l'université Lille 2. Les 400 exemplaires de son livre furent détruits, ce qui fit remonter à nos narines les remugles des autodafés de mai 1933 sur l’Opernplatz de Berlin. La librairie Meura qui les diffusait dut fermer temporairement.
Á quelles réponses ces « incidents » donnèrent lieu ? La vérité oblige à dire qu’en France, des minorités extrémistes ont tous les droits, qu’elles ne sont jamais inquiétées ni par la justice, ni par les media, ni par la classe politique. Ces ersatz de SA ou de gardes rouges peuvent s’en prendre à des cibles laïques ou religieuses, modestes ou prestigieuses, célèbres ou anonymes. Tous les arrangements avec la réalité servent à les disculper. Sur la crèche toulousaine, Libération eut la bonne idée de faire du fact-checking. L’intention est louable, le résultat l’est moins quand il sert à euphémiser les choses. Jacques Pesey raconte ainsi que « les manifestants ont également fait l'objet d'insultes de la part d'un papy ». Oui, vous lisez bien : un « papy ». Sans doute le vieil homme accompagnait-il ses petits-enfants au spectacle. Ce papy n’aurait pas fait de la résistance, mais de la provocation. Bientôt Libé va nous expliquer que la cinquantaine de trouble-fête se défendait contre une attaque de Saint-Joseph, de la Vierge Marie et du bœuf et de l’âne réunis ! Le fact-checking, c’est bien mais Libération prit-il la peine de vérifier les faits avec autant de scrupules dans l’affaire du stand LGBT de La Roche-sur-Yon dans laquelle on trempa jusqu’à l’os le nom de l’ICES, l’Institut catholique d’enseignement supérieur – tout à fait étranger à cette histoire ? Quand on brûla des livres à Lille, il ne vint à l’esprit de personne d’en imputer les faits à la direction de l’université. En Vendée, le coup venait forcément d’une conspiration catho ; c’est tellement évident !
Plus haut j’utilisais l’expression « weimarisation » par référence au régime allemand miné par l’agitation politique avant l’avènement de Hitler. Si celle-ci écrasa les communistes de Karl Liebknecht dès 1919, la république de Weimar se révéla impuissante devant la montée du nazisme. « Stop aux fachos », hurlait le cerveau reptilien des opposants à la crèche toulousaine. Cette injonction laisse pantois, la nativité et le fascisme n'ayant aucun rapport, même lointain). Mais son efficacité est réelle et a de quoi stupéfier tout observateur de la situation française. Car, à ma connaissance, dans aucun autre pays occidental la présence d’une crèche ne pose ce genre de problème. Quelques réflexions sur ce point :
- cela fait plusieurs années qu’à l’instigation de la mouvance laïcarde, les crèches sont sujettes à un débat oiseux. En les assimilant à un signe extérieur de kermesse identitaire (comme la soupe au cochon pour sans-abri), on cherche à en dévoyer tout ce qu’elles disent de l’innocence virginale et enfantine. Mine de rien, la crèche représente un ordre du monde dont elle est l’acte fondateur. Les promoteurs du désordre, d’une société sans foi ni loi, se sentent visés et jugés par cette image de paix insoutenable ;
- si extrémistes que soient les militants de Toulouse-la-trique, ceux-ci ne reflètent jamais que la déculturation ambiante. Certes. Mais comment l’Église, si pourvoyeuse de culture et d'enseignement au fil des siècles, peut-elle décrocher à ce point ? L'abandon de Noël aux marchands du temple n'est pas nouveau. Faut-il accabler les vieux tenants de la doctrine de l’enfouissement ? En partie. Quelque chose qu’on ne voit pas disparaît. Alors, si on le cache... L’effacement de la culture chrétienne du paysage de France représente de loin le phénomène le plus marquant des cinquante dernières années. L’épisode invraisemblable de la crèche toulousaine en souligne toute l’étendue ;
- devenus très minoritaires, les catholiques forment par excellence un groupe dominé, au sens bourdieusien du terme. On peut s'essuyer les pieds sur eux sans que personne ne bouge. Par une ironie perverse, les laïcards véhiculent le discours inverse et totalement ringard : l’Église serait surpuissante et asservirait les masses. Il faut, à leurs yeux, que « l'infâme » chère à Voltaire demeure du mauvais côté de l'Histoire. Et malgré la pauvreté de la crèche et tous les services que rend aux sans-voix sa galaxie de bénévoles, jamais un membre de l'Église, clerc ou laïc, ne pourra prétendre au statut de victime ou d'opprimé.
- à Bordeaux, le 24 octobre, les assos LGBT+ et féministes empêchèrent la philosophe Sylviane Agacinski de faire sa conférence à l’université Montaigne. La rencontre fut annulée, sans autre forme de procès. Nulle autorité ne s'en offusqua pour rétablir dans son droit l’épouse d’un ex-Premier ministre ;
- le 12 novembre, des « étudiants » interdirent la tenue d'une autre conférence, celle d’un ancien chef d’État (!), François Hollande, cette fois à l'université Lille 2. Les 400 exemplaires de son livre furent détruits, ce qui fit remonter à nos narines les remugles des autodafés de mai 1933 sur l’Opernplatz de Berlin. La librairie Meura qui les diffusait dut fermer temporairement.
Á quelles réponses ces « incidents » donnèrent lieu ? La vérité oblige à dire qu’en France, des minorités extrémistes ont tous les droits, qu’elles ne sont jamais inquiétées ni par la justice, ni par les media, ni par la classe politique. Ces ersatz de SA ou de gardes rouges peuvent s’en prendre à des cibles laïques ou religieuses, modestes ou prestigieuses, célèbres ou anonymes. Tous les arrangements avec la réalité servent à les disculper. Sur la crèche toulousaine, Libération eut la bonne idée de faire du fact-checking. L’intention est louable, le résultat l’est moins quand il sert à euphémiser les choses. Jacques Pesey raconte ainsi que « les manifestants ont également fait l'objet d'insultes de la part d'un papy ». Oui, vous lisez bien : un « papy ». Sans doute le vieil homme accompagnait-il ses petits-enfants au spectacle. Ce papy n’aurait pas fait de la résistance, mais de la provocation. Bientôt Libé va nous expliquer que la cinquantaine de trouble-fête se défendait contre une attaque de Saint-Joseph, de la Vierge Marie et du bœuf et de l’âne réunis ! Le fact-checking, c’est bien mais Libération prit-il la peine de vérifier les faits avec autant de scrupules dans l’affaire du stand LGBT de La Roche-sur-Yon dans laquelle on trempa jusqu’à l’os le nom de l’ICES, l’Institut catholique d’enseignement supérieur – tout à fait étranger à cette histoire ? Quand on brûla des livres à Lille, il ne vint à l’esprit de personne d’en imputer les faits à la direction de l’université. En Vendée, le coup venait forcément d’une conspiration catho ; c’est tellement évident !
Plus haut j’utilisais l’expression « weimarisation » par référence au régime allemand miné par l’agitation politique avant l’avènement de Hitler. Si celle-ci écrasa les communistes de Karl Liebknecht dès 1919, la république de Weimar se révéla impuissante devant la montée du nazisme. « Stop aux fachos », hurlait le cerveau reptilien des opposants à la crèche toulousaine. Cette injonction laisse pantois, la nativité et le fascisme n'ayant aucun rapport, même lointain). Mais son efficacité est réelle et a de quoi stupéfier tout observateur de la situation française. Car, à ma connaissance, dans aucun autre pays occidental la présence d’une crèche ne pose ce genre de problème. Quelques réflexions sur ce point :
- cela fait plusieurs années qu’à l’instigation de la mouvance laïcarde, les crèches sont sujettes à un débat oiseux. En les assimilant à un signe extérieur de kermesse identitaire (comme la soupe au cochon pour sans-abri), on cherche à en dévoyer tout ce qu’elles disent de l’innocence virginale et enfantine. Mine de rien, la crèche représente un ordre du monde dont elle est l’acte fondateur. Les promoteurs du désordre, d’une société sans foi ni loi, se sentent visés et jugés par cette image de paix insoutenable ;
- si extrémistes que soient les militants de Toulouse-la-trique, ceux-ci ne reflètent jamais que la déculturation ambiante. Certes. Mais comment l’Église, si pourvoyeuse de culture et d'enseignement au fil des siècles, peut-elle décrocher à ce point ? L'abandon de Noël aux marchands du temple n'est pas nouveau. Faut-il accabler les vieux tenants de la doctrine de l’enfouissement ? En partie. Quelque chose qu’on ne voit pas disparaît. Alors, si on le cache... L’effacement de la culture chrétienne du paysage de France représente de loin le phénomène le plus marquant des cinquante dernières années. L’épisode invraisemblable de la crèche toulousaine en souligne toute l’étendue ;
- devenus très minoritaires, les catholiques forment par excellence un groupe dominé, au sens bourdieusien du terme. On peut s'essuyer les pieds sur eux sans que personne ne bouge. Par une ironie perverse, les laïcards véhiculent le discours inverse et totalement ringard : l’Église serait surpuissante et asservirait les masses. Il faut, à leurs yeux, que « l'infâme » chère à Voltaire demeure du mauvais côté de l'Histoire. Et malgré la pauvreté de la crèche et tous les services que rend aux sans-voix sa galaxie de bénévoles, jamais un membre de l'Église, clerc ou laïc, ne pourra prétendre au statut de victime ou d'opprimé.