International

Le jeu subtil du Vietnam entre les grandes puissances

Par Maximilien Kopriwa. Synthèse n°2241, Publiée le 11/07/2024 - drapeau du Vietnam, image libre de droits
Le Vietnam a reçu Vladimir Poutine le 20 juin dernier, un jour après que celui-ci a signé un accord militaire avec la Corée du Nord. En acceptant sa venue, le Vietnam, acteur incontournable d'une région géostratégique majeure, met à l'épreuve sa « diplomatie du bambou ». Entre les superpuissances, Hanoï joue habilement pour préserver son indépendance.

Le bambou est le symbole de la diplomatie vietnamienne. Ces racines sont profondes, il plie, mais ne rompt pas. Malgré ses 100 millions d'habitants, un développement économique soutenu, le Vietnam se sait vulnérable. Son économie dépend de ses bonnes relations avec la Chine et les États-Unis. Théorisée par les stratèges vietnamiens, la « diplomatie du bambou » allie prudence et pragmatisme et n'a comme aiguillon que l'intérêt national. Dans le jeu des rivalités, le Vietnam entend maintenir le dialogue avec tout le monde, quitte à crisper parfois, comme c'est le cas aujourd'hui avec la venue de Vladimir Poutine.

Hanoï parle avec tout le monde. Le mandat d'arrêt de la Cour Pénale Internationale (que ne reconnaissent ni la Russie, ni le Vietnam) n'aura pas dissuadé le président Tô Lam de recevoir en grande pompe le président russe. Le Vietnam n'a jamais condamné la guerre en Ukraine. Il a toujours appelé à une résolution pacifique du conflit. Avant sa venue, Vladimir Poutine a salué cette position dans un entretien accordé à Nhan Dan, le journal officiel du parti communiste vietnamien (PCV). Il considère que le Vietnam « œuvre à la défense d'un ordre mondial équitable fondé sur les principes de l'égalité de tous les États et de la non-ingérence dans leurs affaires intérieures. » Beaucoup considèrent cette position hypocrite. Or, elle n'empêche nullement le Vietnam d'entretenir de bonnes relations avec l'Ukraine et de lui fournir une aide humanitaire. Une gageure dont peu de pays peuvent se prévaloir.

La relation Vietnam/Russie est hautement stratégique pour les deux pays. Outre ses liens historiques avec Moscou, le Vietnam a deux bonnes raisons de soigner ses relations avec la Russie. D'un, il s'agit de son principal fournisseur d'armes (80 % des armes achetées à l'étranger par le Vietnam viennent de Russie), de deux, les technologies russes d'exploration pétrolière l'aide à défendre sa souveraineté sur les îles Paracels contre la Chine qui les lui conteste. Pour la Russie, il s'agit, dans un contexte d'isolement international dû aux sanctions occidentales, de montrer qu'elle dispose d'un allié « économique et politique de plus en plus courtisé par l'Occident  » explique Huong Le Thu (directrice adjointe du programme Asie du centre de réflexion International Crisis Group). Il s'agit enfin d'inciter d'autres pays à suivre cet exemple d'ouverture afin d'infliger un démenti à l'Occident.

Hanoï est au cœur du jeu mondial. En l'espace de quelque mois, le Vietnam a reçu Joe Biden (septembre 2023), Xi Jinping (décembre 2023) et maintenant Poutine. Cela en dit long sur l'efficacité de sa discrète diplomatie et l'importance que lui accordent les principales puissances de la planète… Europe exceptée… Quel autre pays peut se targuer d'avoir reçu en si peu de temps les trois dirigeants les plus puissants du monde ? Lors de sa venue, le président américain s'était félicité d'avoir obtenu un « accord stratégique étendu » entre les deux pays, c'est-à-dire le plus haut degré de proximité diplomatique possible, le tout dans un contexte d'extrême tension avec la Chine au sujet de Taïwan. Trois mois plus tard, Xin Jinping était reçu et rappelait les liens civilisationnels et idéologiques entre les deux pays : « C'est comme si je rendais visite à des parents ou des voisins. La Chine et le Vietnam sont reliés par des montagnes et des rivières, partagent des cultures similaires, partagent les mêmes idéaux et partagent un destin commun. » Pour se maintenir solidement au pouvoir, dans un contexte d'ouverture au monde, le parti communiste vietnamien a besoin de la puissante Chine communiste.

Quand le bambou va-t-il craquer ? Pour Huong Le Thu, la visite de Poutine est « un test pour voir à quel point la diplomatie multidirectionnelle de Hanoï peut aller loin, et si elle est toujours acceptée par les autres puissances majeures. » Les États-Unis n'ont pas manqué de faire savoir leur mécontentement par la voix de leur ambassadeur : « Aucun pays ne devrait donner à Poutine une plate-forme pour promouvoir sa guerre d'agression et lui permettre de normaliser ses atrocités.  »

La situation est d'autant plus gênante pour les Américains que le Vietnam est un partenaire indispensable en raison de sa production manufacturière, sa production de semi-conducteur, et sa situation géostratégique incontournable face à l'expansionnisme chinois qui effraie notamment… le Vietnam. Celui-ci a quant à lui absolument besoin des États-Unis pour se développer (110 milliards de dollars d'échanges commerciaux contre 3,6 milliards avec la Russie) et diversifier ses liens en matières de défense. Ce qui ne l'empêche pas d'être obligé d'entretenir de bonnes relations avec son principale partenaire économique et rival numéro un des États-Unis… la Chine (170 milliards d'échanges).

Coincé entre ces deux géants, le Vietnam n'a aucun intérêt à voir une Russie affaiblie sur le plan international. De surcroît, selon certains observateurs, il chercherait son soutien pour intégrer les BRICS. Face aux pressions des deux superpuissances, la Russie constitue un contrepoids indispensable pour le maintien de l'indépendance du pays. Courtisé de tout côté par des adversaires résolus à l'attirer à eux aux dépens des autres, le Vietnam ne peut se tenir debout qu'en se donnant à tous sans se donner à personne.

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Poutine en visite à Hanoï : le Vietnam déploie sa “diplomatie du bambou”
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