Société
Jean-Pierre Le Goff : « Sortir de l’essoreuse à idées »
Jean-Pierre Le Goff a les yeux qui pétillent et en se plissant, ils dessinent deux traits espiègles sur un visage au sourire encore enfantin. L’homme est connu pour sa gouaille, inséparable de son indépendance d’esprit. D'ailleurs, L’Express s’exclame d’emblée : « Arrêtez tout : lisez Le Goff ! » Le sociologue vient de publier La société malade (Stock, 2021). Le débat intellectuel crève d’un clivage dont on n’est pas près de voir la fin : « Gauchisme culturel vs idéologies rétrogrades ». Il faut sortir de « l’essoreuse à idées », préconise-t-il. Le match LGBT/Viktor Orban par UEFA et UE interposées vient d’en fournir un énième épisode.
En premier lieu, Jean-Pierre Le Goff constate un rapport « déglingué » à la réalité. Et le Covid n’y est pas pour rien : « On juge le monde de très haut, avec titres et notoriété à l’appui » ; « les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux forment une bulle tourbillonnante [qui] finit par brouiller les repères du réel et par décourager l'envie même d'y voir clair ». La pandémie donna lieu à un « délire d’interprétation qui, en s'appuyant sur une restriction bien réelle des libertés, opérait (…) des rapprochements entre notre pays et le régime totalitaire chinois ». Cette bulle, note Le Goff, « agit par effet non pas d’adhésion mais de désorientation ». N’est-ce pas la raison d’être de LSDJ de conjurer ces mots l'Ecclésiaste : « De l'abondance des paroles viennent les propos inertes. [...] Déjà, dans les jours qui viennent tout sera oublié » ?
En deuxième lieu, Jean-Pierre Le Goff resitue son concept de « gauchisme culturel » qui « a érigé l'autonomie individuelle en absolu contre des institutions considérées comme de purs instruments de domination et d'aliénation ». La gauche au pouvoir l’institutionnalisa et depuis les années 80, on vit sous le régime de « la transgression socialement assistée ». Le sociologue observe qu’« une droite revancharde impute à Mai 68 la responsabilité de tous nos maux et continue de croire que c'était nécessairement mieux avant ». Et il s’agace : « Une partie de la droite brandit facilement l'étendard des "valeurs", en espérant une restauration qui mettrait fin à la décomposition sociale et culturelle qui ne date pas d'aujourd'hui. » Le débat est ainsi captif de la bataille médiatique que se livrent gauchisme culturel et « idéologies rétrogrades ». Le Goff appelle à raison garder : « Les néoféministes, les antifas, les indigénistes et les déboulonneurs de statues... représentent des groupes d'activistes minoritaires coupés de la grande masse de la population. » Pour lui, la France ne vit pas à l’heure de la cancel culture et « on ne saurait passer son temps à guetter et à dénoncer la moindre élucubration ».
Et si on parlait moins de tout ça ?
En troisième lieu, Jean-Pierre Le Goff aborde le christianisme. Et là se fait jour une contradiction. D’un côté, le sociologue – connaisseur du milieu ouvrier – déplore « l’érosion du tissu éducatif et des solidarités collectives antérieures [qui] a abouti à des phénomènes de déstructuration anthropologique ». De l’autre, il dénie au christianisme son rôle de « religion socialement utile » et dont le regain signifierait « un retour en arrière et une impasse ».
Il y a un paradoxe à déplorer la confusion – comme il le fait très bien – et à voir comme un acquis le fait que « le modèle d’unité de la chrétienté » soit derrière nous.
Cette confusion est la conséquence de l’effacement de l’Église catholique. On vivait dans un monde discipliné par le clergé, qu'il fût croyant ou athée. Le Parti communiste était une réplique inversée de l’internationale romaine. Depuis la Révolution n’existe en fait qu'un seul clivage : pour ou contre les curés. Se souvient-on à quel point les rites catholiques structuraient la vie de nos ancêtres ?
Spécialiste des « collectivités d’appartenance », Le Goff consacra une étude de 800 pages au bourg de Cadenet dans le Luberon (La fin du village, Gallimard, 2017). S’il s’afflige des effets de la métropolisation, comme le TGV, il juge impossible de réhabiliter les valeurs traditionnelles. Ne confondrait-il pas le « parti de l’ordre rêvé par une frange extrême » et les « murs porteurs » dont parle un Philippe de Villiers ?
Comme beaucoup de chrétiens, Le Goff limite le domaine de l’Église « à celui de la foi et de l’incarnation d’une parole qui touche chacun personnellement. C’est par cette parole qui demeure humble et l’exemplarité que le christianisme peut se transmettre en profondeur ». Si juste qu’elle soit, cette attitude, quand elle est exclusive, permet de s’exonérer de ses responsabilités politiques. Cette fuite ne laisse-t-elle pas l’essoreuse à idées tourner à plein régime ? Elle conduit les catholiques à trouver bon et moderne de ne plus exercer d’influence au-delà du seul témoignage individuel.
En premier lieu, Jean-Pierre Le Goff constate un rapport « déglingué » à la réalité. Et le Covid n’y est pas pour rien : « On juge le monde de très haut, avec titres et notoriété à l’appui » ; « les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux forment une bulle tourbillonnante [qui] finit par brouiller les repères du réel et par décourager l'envie même d'y voir clair ». La pandémie donna lieu à un « délire d’interprétation qui, en s'appuyant sur une restriction bien réelle des libertés, opérait (…) des rapprochements entre notre pays et le régime totalitaire chinois ». Cette bulle, note Le Goff, « agit par effet non pas d’adhésion mais de désorientation ». N’est-ce pas la raison d’être de LSDJ de conjurer ces mots l'Ecclésiaste : « De l'abondance des paroles viennent les propos inertes. [...] Déjà, dans les jours qui viennent tout sera oublié » ?
En deuxième lieu, Jean-Pierre Le Goff resitue son concept de « gauchisme culturel » qui « a érigé l'autonomie individuelle en absolu contre des institutions considérées comme de purs instruments de domination et d'aliénation ». La gauche au pouvoir l’institutionnalisa et depuis les années 80, on vit sous le régime de « la transgression socialement assistée ». Le sociologue observe qu’« une droite revancharde impute à Mai 68 la responsabilité de tous nos maux et continue de croire que c'était nécessairement mieux avant ». Et il s’agace : « Une partie de la droite brandit facilement l'étendard des "valeurs", en espérant une restauration qui mettrait fin à la décomposition sociale et culturelle qui ne date pas d'aujourd'hui. » Le débat est ainsi captif de la bataille médiatique que se livrent gauchisme culturel et « idéologies rétrogrades ». Le Goff appelle à raison garder : « Les néoféministes, les antifas, les indigénistes et les déboulonneurs de statues... représentent des groupes d'activistes minoritaires coupés de la grande masse de la population. » Pour lui, la France ne vit pas à l’heure de la cancel culture et « on ne saurait passer son temps à guetter et à dénoncer la moindre élucubration ».
Et si on parlait moins de tout ça ?
En troisième lieu, Jean-Pierre Le Goff aborde le christianisme. Et là se fait jour une contradiction. D’un côté, le sociologue – connaisseur du milieu ouvrier – déplore « l’érosion du tissu éducatif et des solidarités collectives antérieures [qui] a abouti à des phénomènes de déstructuration anthropologique ». De l’autre, il dénie au christianisme son rôle de « religion socialement utile » et dont le regain signifierait « un retour en arrière et une impasse ».
Il y a un paradoxe à déplorer la confusion – comme il le fait très bien – et à voir comme un acquis le fait que « le modèle d’unité de la chrétienté » soit derrière nous.
Cette confusion est la conséquence de l’effacement de l’Église catholique. On vivait dans un monde discipliné par le clergé, qu'il fût croyant ou athée. Le Parti communiste était une réplique inversée de l’internationale romaine. Depuis la Révolution n’existe en fait qu'un seul clivage : pour ou contre les curés. Se souvient-on à quel point les rites catholiques structuraient la vie de nos ancêtres ?
Spécialiste des « collectivités d’appartenance », Le Goff consacra une étude de 800 pages au bourg de Cadenet dans le Luberon (La fin du village, Gallimard, 2017). S’il s’afflige des effets de la métropolisation, comme le TGV, il juge impossible de réhabiliter les valeurs traditionnelles. Ne confondrait-il pas le « parti de l’ordre rêvé par une frange extrême » et les « murs porteurs » dont parle un Philippe de Villiers ?
Comme beaucoup de chrétiens, Le Goff limite le domaine de l’Église « à celui de la foi et de l’incarnation d’une parole qui touche chacun personnellement. C’est par cette parole qui demeure humble et l’exemplarité que le christianisme peut se transmettre en profondeur ». Si juste qu’elle soit, cette attitude, quand elle est exclusive, permet de s’exonérer de ses responsabilités politiques. Cette fuite ne laisse-t-elle pas l’essoreuse à idées tourner à plein régime ? Elle conduit les catholiques à trouver bon et moderne de ne plus exercer d’influence au-delà du seul témoignage individuel.