Jean-Michel Blanquer : de qui se woke-t-on ?
Politique

Jean-Michel Blanquer : de qui se woke-t-on ?

Par Louis Daufresne. Synthèse n°1419, Publiée le 29/10/2021
« Ne nous laissons pas décrire comme vieux et franchouillards ! » Ces mots ne sont ni d’Éric Zemmour, ni de Marine Le Pen mais de… Jean-Michel Blanquer. Le 13 octobre, le ministre de l’Éducation nationale s’exprimait devant 200 personnes réunies à Paris pour le lancement de son « Laboratoire de la République ». Parmi elles figuraient des ministres, des députés, et la philosophe Élisabeth Badinter, grande conscience de la gauche universaliste.

Trois jours après cette inauguration, la France rendait hommage à Samuel Paty, l’enseignant assassiné par un islamiste.

Cette concomitance en surprit plus d’un.

Blanquer cherchait-il à capitaliser sur le meurtre sauvage d’un agent de l’État pour en tirer des dividendes politiques et si oui lesquels ? La macronie en panne de discours l’envoyait-il au front de la bataille des idées ? En cette précampagne électorale, les extrêmes occupent l’espace médiatique. À Drancy, Zemmour descend « face à la rue » quand, de l’autre côté, nombre de livres ou d’articles soupçonnent le wokisme d’être à la pensée ce que le Covid est à la santé : un nouveau virus, mondialisé, s’installant dans le paysage de nos habitudes.

Deux différences toutefois : le phénomène woke vient des États-Unis et contamine surtout la jeunesse. Depuis l’affaire Georges Floyd, il franchit l’Atlantique avec tout un matériel génétique, tout un langage, jusqu’alors inconnu sous nos contrées. Le wokisme devient l’une des mâchoires de la « tenaille identitaire ». L’autre, c’est le nationalisme version Zemmour/Le Pen. Au milieu, il y a Blanquer et tous les frères que loge la République. Opprimé par l’étreinte, ce courant d’idées ne sait quoi répondre ni à l’un ni à l’autre. Le mot de « laboratoire » révèle une forme d'impuissance, comme si Blanquer et consorts ne dominaient plus les institutions et qu'il fallait faire passer notre modèle séculaire pour innovant, donc attirant. Son think tank veut « d'abord s'adresser » à la jeunesse, ce qui semble confirmer le décrochage des idées républicaines dans cette partie de la population. Blouse blanche ou pas, le ministre veut passer le wokisme au microscope des droits de l’homme. Sa démarche n'est pas exempte d'une arrière-pensée sanitaire. Il s'agit de vacciner les jeunes contre un nouvel identitarisme. Le danger pour la macronie, c’est de laisser à la droite le monopole de la réplique républicaine, de la défense du creuset français.

Blanquer défend une « vision gramscienne », selon laquelle, dit-il « il ne peut y avoir de victoire politique que si la bataille des idées est gagnée ». Il voit dans le wokisme une « pensée de la fragmentation » s'insinuant dans quatre champs : académique, médiatique, culturel et politique. Cette pensée, dit-il « "essentialise" les êtres humains et les enferme dans une logique du "ressentiment" à rebours d’une vision universaliste du corps social – celle de la Déclaration des droits de l’homme selon laquelle nous naissons et demeurons "libres et égaux en droits" ». Cette profession de foi sera-t-elle victime du match identitaire entre le grand ressentiment (wokisme) et le grand remplacement (nationalisme) ?

Le risque pour Blanquer est d’incarner un vieux monde se référant à des principes froids et abstraits, comme le sont les bustes de Marianne. L'influence du wokisme ressemble à celle de la pénétration queer à l'école (LSDJ n°1413) : il s'agit d'abord d'une attitude, d'un « éveil » à une réalité qu’on se cachait à soi-même. Il y a un côté « born gain » dans cette conscientisation du statut de victime et d’opprimé. Quand le ministre dit que « la République n'est pas une incantation », « pas une formule creuse », mais « une boussole et aussi une ancre », il ne touche le cœur de personne. Et proclamer que « l'humanisme et l'universalisme ne sont pas des valeurs à mettre au rebut de l'histoire » revient à constater en creux qu’ils le sont déjà ou en passe de l’être.

La gauche universaliste veut rester l’arbitre des élégances intellectuelles dans un monde « fragmentaliste » où prévaut la brutalité. Elle veut montrer que la République demeure une source d’émancipation pour tous, contre la régression racialiste. Est identitaire, note le journaliste Brice Couturier, « ce qui n’est pas négociable ». « Le militantisme woke, ajoute-t-il, voudrait nous imposer un système conceptuel » qui constitue « la seule grille de lecture possible de toute conflictualité sociale. Cette Grande Révolution culturelle américaine s’acharne sur la France parce que notre culture politique comporte des anticorps qui la rendent particulièrement résistante : l’universalisme, la rationalité, la laïcité, l’antiracisme authentique ».

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Brice Couturier : « Non, le woke n’est pas un fantasme de “réac”, c’est une révolution culturelle en marche »
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