Société

Le Japon, un laboratoire des nouvelles formes d'amour

Par Martin Dousse. Synthèse n°2287, Publiée le 07/10/2024 - Photo : Shutterstock.
De jeunes hommes louant leurs services de petit ami pour quelques heures, romances - même sérieuses - avec des personnages fictifs... Malgré un taux de natalité au plus bas, les nouvelles formes d'amour fleurissent au pays du soleil levant. Et même si ces expériences affectives sont peu répandues dans le reste du monde, difficile d'écarter l'hypothèse d'un alignement de nos sociétés sur ce modèle.

Louer un petit copain ou une petite copine ? C'est possible et même courant au Japon. Le concept est simple : de jeunes trentenaires, pour la plupart des femmes, obtiennent les services de jeunes hommes galants, payés pour passer une bonne soirée avec elles. La pratique fait penser à de la prostitution même si la relation est censée rester platonique. Il s'agit de visiter un endroit ensemble ou de boire du champagne tout en se faisant charmer dans de luxueux restaurants. À Tokyo, ces « Don Juan » ont pignon sur rue et rencontrent encore plus de succès que les femmes proposant la même activité. Leurs classement et performances font l'objet d'affiches scintillantes, exposées sur les devantures des clubs pour lesquels ils travaillent.

Ces relations peuvent représenter un gouffre financier pour les clientes  : Hikari, une jeune japonaise, a dépensé jusqu'à 80 000 euros en 4 ans pour des hommes de compagnie. L'industrie en question met en place un fonctionnement addictif : si elles s'attachent à un partenaire, les personnes peuvent continuer à échanger avec lui à distance, grâce aux smartphones. Tout cela entre dans le cadre d'une prestation tarifée : ces « petits copains » loués à grand-prix s'occupent de plusieurs clientes en même temps.

Le smartphone peut même se transformer en amoureux(se) à part entière et rendre réelle une idée récemment mise en avant dans les salles de cinéma. En 2014, un film de Spike Jonze intitulé Her imaginait un Américain dépressif tomber amoureux d'une délicieuse voix féminine incarnée par une intelligence artificielle.

Aujourd'hui, des millions de japonais utilisent des applications permettant d'entretenir des relations amoureuses virtuelles avec un personnage fictif au choix, tel un bel Européen, un samouraï du Moyen-Âge ou une popstar. Chloé Fujisawa, une autre jeune fille, affirme y consacrer trois heures par jour, dont un moment privilégié avant d'aller dormir. Ses petits copains virtuels sont pour elle l'occasion de « vivre une vraie romance », différente de la routine avec son fiancé pourtant bien réel. « Un amoureux réel ne répond pas toujours ce qu'on aimerait entendre alors que les garçons virtuels répondent parfaitement, parfois mieux que ce que j'attends ».

D'autres vont encore plus loin. Un employé nippon de 39 ans a décidé de se marier avec Mikou : une poupée aux cheveux bleus représentant une chanteuse virtuelle. Il a voulu faire de son mariage un acte militant afin de faire avancer la ficto-sexualité : l'attirance envers des personnages fictifs.

Faut-il s'étonner de ces nouvelles formes de relation au regard des statistiques amoureuses de l'archipel ? Selon un sondage, un tiers des nippons appartenant à la tranche d'âge des 20-49 ans affirment ne jamais avoir eu de relation amoureuse. La même enquête montre que seulement 29,7 % des sondés déclarent « être actuellement en couple ».

Le pourcentage d'hommes et de femmes exprimant le désir de se marier est lui aussi en berne et n'atteint même pas les 50 %. Des arguments individualistes sont mis en avant comme la peur de perdre en indépendance ou d'avoir une marge financière plus réduite. La démographie japonaise ne cesse, elle, de chuter depuis plusieurs années.

Les nouvelles tendances amusent les jeunes mais inquiètent leurs aînés. Pour remédier à la situation, plusieurs parents ont mis en place des méthodes proches du speed-dating (courtes séances de rendez-vous galants). La particularité, c'est que ce sont eux qui y participent et non leurs enfants, célibataires d'une quarantaine d'années. Ces sessions sont l'occasion d'échanger les CV de leurs progénitures afin de débusquer les meilleurs partis. Ce type de programme est déjà utilisé par des milliers de personnes et bénéficie du soutien de l'État.

Le Japon est-il un cas isolé ou représente-t-il le futur sombre qui guette les sociétés occidentales ? Partout dans le monde, de nouvelles applications proposent d'échanger avec des agents conversationnels (générés par des intelligences artificielles). Replika par exemple compte déjà 660 millions d'utilisateurs. L'Italie l'a bannie de son territoire car elle contrevenait aux lois sur la protection des données personnelles et représentait des risques affectifs et psychologiques pour les mineurs. Le sentiment de détresse est commun chez les utilisateurs ayant recours à de tels programmes. La fuite du réel que ceux-ci proposent les maintient dans une spirale de repli sur soi.

La solitude s'impose comme un des principaux maux du XXIe siècle. Elle touche principalement les jeunes et l'expérience japonaise devrait nous alerter sur une aggravation du problème.

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