Inscrire l'IVG dans la Constitution serait-il incompatible avec le droit et ses principes ?
Alors que le texte sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution a été adopté en première lecture ce mardi 30 janvier 2024 à l'Assemblée nationale (493 pour et 30 contre), Guillaume Drago, professeur de droit public à l'université Paris Panthéon-Assas, détaille en quoi ce principe de « liberté » n'a pas sa place dans la Constitution et va en réalité à l'encontre de plusieurs points du droit français comme européen. Pour lui « l'enjeu est celui de la liberté des citoyens, et pas seulement de la femme ».
La Constitution est la « règle juridique suprême » appliquée à tous. Elle ne devrait donc selon lui ne contenir que des règles majeures puisqu'elle est l'expression d'une « stabilité juridique de la société ». En clair, on ne peut pas tout y inscrire. C'est la loi qui décline les grands principes et fixe les libertés et devoirs individuels. Il pointe donc dans cette mesure un processus « profondément destructeur de l'équilibre de la société. »
Rappelons le caractère jusqu'ici dérogatoire de la loi Veil du 17 janvier 1975. Elle précisait en effet, en son article 1, que la loi « garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi », conditions n'autorisant l'acte d'IVG que dans le cas de situations de détresse et à titre exceptionnel. Ce premier article énonçait aussi le devoir de l'État et des collectivités notamment dans « l'information [...], l'éducation à la responsabilité, l'accueil de l'enfant dans la société et la politique familiale. » Mais ce socle de base a par la suite été abrogé en 2000, élargissant la possibilité d'avorter. Et près de 50 ans plus tard, en 2022, on recensait 234 300 IVG (chiffres officiels), rarement pour des cas de force majeure.
Aujourd'hui, en quoi y aurait-il incompatibilité de la proposition de constitutionnalisation avec d'autres textes ? A cause de la Constitution elle-même ! Parce qu'elle prévoit de réserver la décision aux femmes exclusivement, cette modification « conduira à s'opposer à d'autres droits constitutionnels comme la liberté de conscience des médecins. » (Le Figaro). Cette liberté introduite par la loi Veil est pourtant un point important de la pratique médicale en France.
Le problème continue avec les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution, hérités de celle de la IVe République, du 27 octobre 1946, qui précisent : « 10. La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. 11. Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. » À ce propos, la loi relative au respect humain et à la dignité des personnes du 29 juillet 1994 a rétabli l'article 16 du Code Civil précisant que la loi « assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. » La loi du 23 mars 2019 sur la protection des mineurs constitue une autre pierre d'achoppement car elle a consacré la protection constitutionnelle de l'intérêt supérieur de l'enfant, c'est à dire la primauté de son droit sur celui des parents.
Une question se pose alors : comment définir un mineur, un enfant ou même le commencement de la vie ? Au stade embryonnaire, le fœtus peut-il être qualifié par ces termes et bénéficier pre-partum des droits sus-définis ? Laissant l'aspect médical de la question aux experts, la CEDH a admis que « les États peuvent légitimement choisir de considérer l'enfant à naître comme une personne et protéger sa vie » (n°222. Affaire A, B et C, Irlande 16/12/10) ou adopter le point de vue inverse. Tout l'enjeu se situe là, ce qui amène Guillaume Drago à élargir la question au-delà d'un simple « rendez-vous avec l'Histoire des femmes » (É. Dupont-Moretti au palais Bourbon).
Le texte validé par l'Assemblée sera soumis au Sénat le 28 février prochain. Après la prise de position défavorable de Gérard Larcher le 23 janvier dernier, l'issue du vote est un peu plus incertaine, d'autant que le Sénat est majoritairement à droite et conservateur – or, l'intégralité des 30 voix contre à l'Assemblée était issue de la droite. La voie reste donc ouverte pour un refus. D'après l'article 89 de la Constitution, toute réforme exige qu'une réforme du texte le plus important de l'édifice juridique de la nation soit accepté dans les même termes par les deux Chambres puis soumis par referendum au peuple. Mais une échappatoire existe toutefois avec la possibilité de réunir un Congrès des deux Chambres à Versailles, dont les 3/5ème devront voter l'adoption du texte. Cette entourloupe démocratique a été retenue par le président de la République qui défend fermement ce projet et souhaite réunir un Congrès le 5 mars prochain, partant a priori du principe que le Sénat donnera son accord. Qui vivra verra...