Immigration clandestine : comptes et mécomptes de la Cour des comptes
Voilà un rapport dont certains se seraient bien passés. A commencer, semble-t-il, parmi ses auteurs…Depuis sa parution, le 4 janvier, le rapport de la Cour des comptes sur « la politique de la lutte contre l'immigration irrégulière » (cf. notre sélection) suscite beaucoup de commentaires. Sur le fond, et sur la date de sa publication.
Sur le fond, le rapport confirme la croissance continue du nombre de clandestins sur notre territoire (ils seraient « entre 600.000 et 900.000 » selon le ministre de l'Intérieur) et l'impuissance publique à contenir ce flux : mesures d'éloignement non exécutées, administrations « saturées », centres de rétention qui « manquent de policiers pour en assurer la surveillance », contrôles « très limités » aux frontières : « La police aux frontières ne relève que l'identité déclarée des personnes interpellées, sans l'intégrer dans un système d'information national. Les empreintes des étrangers interpellés ne sont pas prises, en l'absence de cadre légal ». En outre, « leurs documents d'identité ne sont pas scannés » et « les personnes interpellées ne font pas, sauf exception, l'objet de vérifications avec les fichiers de police ». Et la Cour de recommander urgemment de « recueillir et conserver les données d'identité des étrangers interceptés ». Quant à l'agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, « elle apporte un soutien réduit ». S'agissant des OQTF (obligations de quitter le territoire), le rapport estime que seulement 10 % sont exécutées. Explication : « Sur les cinq dernières années, le nombre d'OQTF délivrées a augmenté de 60 % alors que les effectifs préfectoraux consacrés à l'éloignement et au contentieux des étrangers ont crû de 9 % ». La comparaison avec l'Allemagne est cruelle : 4 979 « retours aidés » exécutés en France en 2022, contre 26 545 en Allemagne… Le rapport conclut en critiquant l'absence de « stratégie globale » dans les politiques de migration conduites par le gouvernement.
Mais c'est la date de publication du rapport qui a enflammé l'actualité. La Cour des comptes avait initialement décidé de le publier le 13 décembre, soit deux jours après le vote de la motion de rejet de la loi sur l'immigration qui a conduit l'Assemblée à reprendre les débats pour restaurer les amendements du Sénat (cf. LSDJ n°2069 ). Mais le premier président de la Cour des comptes, l'ancien ministre socialiste Pierre Moscovici, a jugé que la publication du rapport était inopportune à cette date... Il l'a donc reportée au 4 janvier, trois semaines plus tard, pour éviter que ce rapport soit « déformé », « caricaturé et utilisé à mauvais escient ». « Nous étions dans une crise politique, dans un moment où les arguments rationnels se faisaient peu entendre », s'est-il justifié dans un entretien sur la chaîne LCI (5 janvier), largement partagé et commenté. Loin de paraître sur la défensive, Pierre Moscovici a hautement revendiqué la responsabilité de ce report : « C'est une décision que j'ai prise personnellement et que j'assume totalement » a-t-il déclaré sans sourciller, face au journaliste de LCI Darius Rochebin, ajoutant, un rien provoquant, qu'il aurait pu tout aussi bien décider de ne rien publier… Il persiste et signe dans Libération (7 janvier) en soutenant qu'il n'a « rien cherché à dissimuler ».
Étonnantes déclarations ! Les rapports de la Cour des comptes ne sont-ils pas destinés à éclairer les parlementaires et l'opinion publique ? Son premier président aurait-il le pouvoir de décider souverainement, de ce qui est bon ou non que le peuple et ses représentants sachent (cf. le Huffington Post 7 janvier) ? Si Pierre Moscovici s'est dit « persuadé d'avoir eu raison », les élus de droite dénoncent, tel Nicolas Meizonnet. député Rassemblement National du Gard, une « dissimulation inacceptable ». Annie Genevard, députée du Doubs et secrétaire générale des Républicains pointe une « scandaleuse décision partisane » qui « porte atteinte à la crédibilité de la Cour des comptes ». Quant à Laurent Wauquiez, président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, il demande la démission de Pierre Moscovici pour « avoir délibérément retardé la publication d'un rapport de la Cour des comptes afin que ses conclusions ne puissent être connues lors du débat parlementaire sur la loi immigration » (Le Figaro, 7 janvier ; Marianne, 9 janvier). « Je partage cette révolte » a renchéri le député européen (LR, membre du groupe Parti populaire européen) François-Xavier Bellamy au micro d'Europe1/Cnews le 9 janvier » : « Une institution publique, la Cour des comptes, dont la mission, au sens de la Constitution, est d'éclairer le débat public et d'informer les Français sur les enjeux de l'action de l'État, est empêchée par son premier président de publier les résultats auxquelles elle est parvenue sur un sujet majeur, la question migratoire, à un moment où un débat décisif est en train de traverser le Parlement et la société française toute entière. » « Ce travail est accompli au nom du peuple français...Comment se fait-il qu'il en soit privé à un moment décisif pour l'avenir du pays ? »