L'illusion sécuritaire d'Israël : la faillite d'une nouvelle « ligne Maginot »
Le raid du Hamas le 7 octobre a plongé les Israéliens et de nombreux observateurs occidentaux dans la stupeur… Comment des terroristes à l'équipement limité ont-ils pu passer si facilement la frontière ultra-sécurisée qui borde la bande de Gaza ? Ce mur, fleuron de la technologie militaire, inauguré en 2019, a été construit au prix d'1,1 milliard de dollars. 6 mètres de hauteur, de barbelés, de béton et d'acier – une barrière « intelligente » car truffée de caméras, de détecteurs de mouvements jalonnée par des tours de guet bourrées de technologie. Le système de défense se prolonge en sous-sol pour contrer toute tentative d'infiltration par des tunnels… Pour certains, seul un complot pouvait l'expliquer. On sait que le Hamas avait réussi à endormir la vigilance des services israéliens. La foi dans cette « ligne Maginot 2.0 » a conduit l'état-major de Tsahal à déplacer ses meilleures troupes vers la frontière nord face au Liban et à la Syrie. Cette catastrophe démontre surtout, d'après N.S Lyons (voir l'essai sur son blog en lien), que les stratèges modernes se sont laissé aveugler par l'illusion technologique.
Le Colonel Vach, commandant de l'école de formation des officiers de Tsahal, s'était inquiété publiquement en 2019 : « La construction d'un tel mur rend la défense d'Israël rigide et laisse l'initiative à l'adversaire… ». Un fameux aviateur américain, le Colonel John Boyd (1927-1997) avait compris ce piège : « Des hommes, des idées, des machines… Dans cet ordre ! » avait-il l'habitude de répéter. Pilote de guerre en Corée puis commandant d'un groupe aérien au Vietnam, il s'est élevé contre l'obsession technologique de son pays. De grands cerveaux au Pentagone avaient décidé, à la grande joie du complexe militaro-industriel, que l'ère des combats tournoyants était finie. Il fallait développer des plateformes volantes capables d'écraser l'adversaire de loin sous les missiles et les bombes… Plus besoin de canons, au diable la manœuvrabilité ! Boyd a constaté le désastre quand les Nord-Vietnamiens ont opposé aux cigares volants U.S. les derniers petits MIG soviétiques, rustiques et légers. Alors que l'US Air Force affichait un score écrasant de 10 victoires pour 1 perte en Corée, le ratio est passé à 1 pour 1 en 1967… Les fameux F15 et F16 américains allaient naitre à la suite des préconisations de Boyd et de ses collaborateurs.
Le mur high-tech autour de Gaza n'a pas arrêté les ULM ni les motos des terroristes. Pire qu'inutile, on peut raisonnablement penser qu'il a affaibli la capacité de défense d'Israël : des troupes bien armées dans des casemates auraient assuré des pertes minimes. Faire confiance à des systèmes complexes est un piège : en cas de faillite (par exemple la neutralisation des communications par des drones armés) à un bout de la chaine, c'est toute la ligne de défense qui s'écroule. Les guerres ont fait avancer les progrès technologiques, procurant des avantages décisifs quand ils sont au service d'une stratégie et pilotés par des spécialistes. L'utilisation massive de drones bon marché en Ukraine et par le Hamas pour détruire des radars israéliens est un exemple d'une technologie militaire qui change la physionomie du champ de bataille. Au contraire, la ceinture bourrée de puces et de systèmes complexes érigée par l'État hébreu s'est transformée en piège.
La complexité rend un système de défense fragile comme elle sape les fondations d'un empire ou d'une civilisation affirme N.S. Lyons. On est à l'opposé du « too big to fail » cher aux grandes banques : la tour de Babel finit par s'écrouler sous son propre poids. Trop d'alliances et d'intérêts vitaux à travers le monde, trop d'ennemis font d'une « super puissance » une étoile déjà morte. L'OTAN semble minée par ce piège : un engagement massif en Ukraine suivi d'un autre au Moyen-Orient sont autant de témoins d'alerte qui clignotent. La Chine observe et pourrait être tentée d'avancer ses plans d'une annexion de Taïwan. Dans ce chaos mondial, l'administration américaine ne semble voir qu'une issue : réaffirmer sa puissance dans une fuite en avant (toujours plus de milliards déversés en Ukraine et des forces navales mobilisées au large de la Palestine). Comment tenir une ligne ferme sur le long-terme en Mer de Chine alors ? L'impression d'instabilité globale, de bouleversements voire de chaos diplomatiques correspond à une réalité que cette fuite en avant ne fait qu'accélérer.
N.S. Lyons recommande de revenir à un équilibre en adoptant la seule stratégie défensive qui ait fait ses preuves : concentrer ses forces sur un nombre réduit de points stratégiques tout en privilégiant l'humain comme la meilleure sentinelle possible armée d'outils simples et si possibles innovants… L'élection présidentielle américaine de 2024 pourrait au moins ralentir cette course folle. Mais l'histoire des empires démontre plutôt que seul un effondrement permet de défaire l'inextricable complexité des fils qui composent leurs toiles.