
Honni soit qui Mali pense
La nation entretient un rapport ambigu avec le métier des armes : c’est un mélange de fascination/répulsion. On l’admire tant qu’on ne le voit pas. Combien d’uniformes croisez-vous par jour dans les rues ? Pourquoi, et depuis fort longtemps, les militaires ont-ils l’ordre de ne pas le porter dans l’espace public (hormis certaines circonstances) ? La voisine de l’un des soldats tués au Mali s’écriait : « Ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers. » Si ce sont les meilleurs, pourquoi cache-t-on l’armée aux yeux du public ? Les visages de ces hommes respirent la droiture et inspirent la fierté. Ils sont un reproche au mode de vie assigné aux sociétés occidentales. Tant qu’ils les protègent discrètement, tout va bien. Mais pour le type d’homme qu’ils véhiculent malgré eux, on s’en méfie. Les familles, l’école privée ou publique, les media encouragent-ils la vocation militaire ? Tout ce monde-là préfère les Seychelles au Sahel.
« Fierté » : c’est le mot que répétait ce matin sur France Info Jean-Marie Bockel dont le fils Pierre, 28 ans, figure sur la liste funèbre. Le sénateur était fier de lui. Combien de parents ne peuvent pas en dire autant quand l’enfant se tue en voiture à la sortie d’une boîte de nuit ? « Fierté et tristesse », ajoutait-il. Quand tous les pères prendront la photo de leur fils défunt pour la mettre dans un cadre et la poser sur la table de nuit, le décor des Invalides cèdera la place à cet abîme dont les parois ne renverront que l’écho du silence. Jusqu’à la fin de leurs jours. « La fraternité d’armes est aussi une fraternité des larmes », écrit le père Jean-Yves Ducourneau, auteur du Café du Padre – Chroniques de vie d’un aumônier militaire » (Salvator, 2019).
Une question surgit forcément en pareilles circonstances : La France doit-elle rester là-bas, quand on sait que le Niger va changer son hymne national jugé trop favorable à l’ancienne puissance coloniale ? Le Premier ministre Edouard Philippe répond en qualifiant d' « indispensable » l'action militaire au Sahel, car il en va de « l'intérêt de notre pays ». Le président du MoDem François Bayrou estime que ce « serait profondément irresponsable » de se retirer du Mali. Sept militaires appartenaient au 5e régiment d'hélicoptères de combat (5e RHC) basé à Pau, la ville dont il est maire. Selon lui, « (…) ça voudrait dire que l'Occident que nous représentons là-bas, que l'Europe, que la France, que certaines valeurs de civilisation ont subi une défaite et qu'on bat en retraite. Ça serait une déflagration ». Tenir, donc, comme à Verdun. Mais cette fois contre un ennemi dont le réservoir humain est alimenté par le fleuve en crue de la folle démographie des populations sahéliennes. Conjugué ce phénomène à l’absence de perspectives économiques, le djihadisme n’aura aucun mal à recruter. Sur ces mots, poindrait-il une prise de conscience à l’échelle de l’UE ? Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, reconnaît que « c'est l'Europe toute entière qui est en deuil, car au Mali comme ailleurs c'est l'armée française qui défend l'honneur et la sécurité de l'Europe ». Si ces paroles appellent des actes, nul pays européen ne semble disposé à ce jour à en accomplir.