Économie

La guerre du sable, le nouvel or jaune

Par Judikael Hirel. Synthèse n°2225, Publiée le 20/06/2024 - Crédit photo : Norbert Kutyik. (Pixabay)
Avec une consommation de 50 milliards de tonnes par an, le sable est tout simplement devenu indispensable à toute construction humaine. Au point de devenir une denrée rare, et même une ressource stratégique...

C'est une guerre pour le sable qui ne cesse de prendre de l'ampleur... Le sujet n'a rien d'aussi léger et éphémère qu'un château de sable d'enfant sur la plage, l'été, alors que la marée monte. En effet, paradoxalement, le sable tend à se faire rare. Il faut dire que sa consommation mondiale a carrément triplé en l'espace de vingt ans. Aux yeux de certains, la guerre pour le sable serait même déclarée. Après l'eau et les terres rares, il ne nous serait sans doute pas spontanément venu à l'esprit. Pourtant, il sert à produire aussi bien du béton que du verre, des détergents, et bien sûr des micro-processeurs. De quoi en faire une matière première en pleine raréfaction, et même la seconde ressource naturelle la plus consommée dans le monde après l'eau.

Quid des vastes dunes des déserts ? En réalité, elles ne seront pas utiles à grand chose en la matière : le sable du Sahara est à la fois trop rond et trop lisse pour pouvoir faire du béton. En effet, 90 % du sable utilisé dans le monde sert à faire du béton. Un matériau constitué de deux tiers de sable pour un tiers de ciment, composant de 70 % des constructions mondiales. De quoi engendrer des situations paradoxales : pour construire des tours et des immeubles sur des dunes de sables, Dubaï a dû importer 300 millions de tonnes de mètres cubes de sable d'Australie pour construire l'archipel The World

Vous avez dit logique et écologique ? Sans doute pas ; le Programme des Nations unies pour l'environnement appelant même à considérer désormais le sable comme « une ressource stratégique dont l'extraction et l'utilisation doivent être repensées ». Avec une consommation de 50 milliards de tonnes par an, le sable est tout simplement devenu indispensable à toute construction humaine : il a ainsi fallu 45 000 tonnes du nouvel or jaune pour ériger les 828 mètres de la tour Burj Khalifa de Dubaï. Créer Palm Islands, des îles en forme de palmes, a demandé d'extraire la bagatelle de 100 millions de tonnes de sable du fond du golfe Persique. Mais pour une simple maison, tablez sur 200 tonnes de sable, et 30 000 tonnes pour un simple kilomètre d'autoroute… Cette consommation atteint un tel point qu'au niveau mondial, l'intensité de prélèvement de sable est désormais jugée « insoutenable ». Selon la plateforme d'observation de l'extraction dans les mers et les océans, la Marine Sand Watch, lancée en septembre 2023, le taux d'extraction du sable a d'ores et déjà dépassé son taux de renouvellement. Dit autrement, si l'on continue à un tel rythme, l'humanité va finir par manquer de sable… « Nous devons considérer le sable comme une ressource stratégique, estime Pascal Peduzzi, du PNUE (Programme des Nations Unies pour l'Environnement). Il est utilisé plus rapidement qu'il ne peut être reconstitué naturellement ».

Au rythme actuel, la Belgique n'aura plus de sable dans 80 ans : le chiffre est parlant. L'ONU alerte à juste titre sur la surexploitation du sable dans le monde. « Extrait des carrières, des plages, des rivières et des fonds marins, le sable est utilisé plus rapidement qu'il n'est reconstitué, ce qui en fait une ressource non durable, rappelle ainsi le gouvernement français. Son extraction porte atteinte à la biodiversité des milieux côtiers et marins, les opérations de dragage participent à l'érosion des côtes, à la destruction des récifs coralliens et à la salinisation des aquifères, menaçant ainsi les nappes phréatiques. » Selon l'ONU, « le monde approche du taux de reconstitution naturelle de 10 à 16 milliards de tonnes par an, dont les rivières ont besoin pour maintenir la structure et le fonctionnement des écosystèmes côtiers et marins ». Ainsi, le delta du Mékong, au Vietnam, s'enfonce, faute de sédiments suffisants. Cette raréfaction du sable a de quoi aiguiser les appétits : au Maroc, plus de 40 % du sable utilisé pour construire de nouveaux bâtiments serait du sable volé. Au point de craindre de voir des plages disparaître… En Inde, la mafia du sable réalise d'énormes profits, avec plus de 8 000 sites illégaux exploités par des « pirates du sable ».

La Chine est le premier pays producteur de sable dans le monde, devant l'Inde et l'Europe ; et Singapour le premier importateur. Comme le rappellent les experts,« son extraction, son approvisionnement, son utilisation et sa gestion restent largement non réglementés dans de nombreuses régions du monde, ce qui entraîne de nombreuses conséquences environnementales et sociales ». Sur Terre, la quantité de sable est estimée à 120 millions de milliards de tonnes. 50 milliards de tonnes sont utilisées chaque année. Ce qui représente environ 18 kilos par jour et par individu sur notre planète. Mais il ne suffit pas de disposer d'un stock de sable, non renouvelable au sens propre. Encore faut-il y avoir accès… En effet, au-delà des 20 % du stock planétaire représenté par les déserts, inutilisables pour produire du béton, les dizaines de milliers de barrages créés à travers le monde retiendraient également une bonne partie du sable censé venir nourrir les plages du globe.

La sélection
Serons-nous bientôt à court de sable ?
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