Le « grand show hongrois » de Viktor Orban au sommet européen
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban est-il un simple opportuniste ou le « Cheval de Troie » de Vladimir Poutine, comme le prétendent ses détracteurs, surtout suite à son « grand show » politique lors du récent sommet de l'UE à Bruxelles au sujet de l'adhésion éventuelle de l'Ukraine ? S'opposant à la volonté des 26 autres états d'ouvrir des discussions avec Kiev dans une situation nécessitant l'unanimité, Orban a été contourné par une manœuvre habile de la part d'Olaf Scholz. Le chancelier allemand a demandé à Orban de quitter momentanément la salle, ce qui a permis aux autres états de voter pendant son absence l'ouverture des négociations avec l'Ukraine, tout en donnant à Orban la possibilité de se distancier de la décision et donc de sauver les apparences. Cependant, si l'initiative de Scholz a apporté en quelque sorte une victoire tactique à l'UE, Orban a pris sa revanche en utilisant son veto pour bloquer 50 milliards d'euros d'aide destinés à l'Ukraine entre 2023 et 2027, disant également à la presse que la Hongrie aura encore 75 occasions d'entraver la candidature ukrainienne à l'UE.
En accusant Orban d'être le pion de Poutine, certains citent son amitié de longue date avec le président russe et leur poignée de mains à Beijing en octobre, tout comme l'opposition de la Hongrie aux sanctions imposées par l'UE contre Moscou. Cependant, voir en Orban un simple allié du Kremlin serait trop simpliste. Il poursuit plutôt une politique apparemment contradictoire qui consiste à condamner vaguement l'invasion russe (Orban rappelle que des soldats issus de la minorité hongroise meurent au sein de l'armée ukrainienne), tout en maintenant les contrats énergétiques avec la Russie, non seulement avec Gazprom mais aussi Rosatom dans le nucléaire civil.
La plupart des analystes estiment donc que le comportement d'Orban - même s'il profite à Moscou - serait avant tout guidé par des intérêts économiques. Selon cette ligne d'interprétation, Orban a brandi la menace de son veto la semaine dernière afin d'extraire des concessions de Bruxelles, qui avait gelé 30 milliards d'euros de fonds pour la Hongrie, accusant Orban notamment d'avoir porté atteinte à l'indépendance de la justice hongroise. Il faut dire que de telles manœuvres envers les institutions internationales ne sont pas nouvelles et ne se limitent pas à l'UE strictement dite. Budapest a notamment rejoint la Turquie en s'opposant à l'adhésion de la Suède à l'OTAN, et a récemment également menacé d'apposer son veto à la Bulgarie, candidat à l'espace Schengen, en raison de l'imposition d'une taxe sur le gaz russe en transit vers la Hongrie par le territoire bulgare.
Que faire face à ces blocages tactiques répétés ? Dans le cas de l'aide de l'UE pour Kiev, certains diplomates ont évoqué l'utilisation contre la Hongrie de l'Article 7 du traité européen afin de ratifier l'assistance à l'Ukraine malgré Orban. L'application de cet article, qui prévoit de priver un état membre du droit de vote en cas de violation des principes définis par l'article 2 du traité de l'UE, ne serait pas une nouveauté : tout comme la Pologne en 2017, la Hongrie en a déjà été l'objet en 2018 pour des pratiques anti-démocratiques. Une sanction sans suite, étant donné que l'article 7 peut être bloqué par un autre état : en faisant cause commune à l'époque, la Pologne et la Hongrie se sont donc protégées mutuellement. Cette fois, par contre, la situation est différente, non seulement à cause de l'arrivée à Varsovie d'un nouveau Premier ministre pro-Bruxelles, mais aussi parce que la Pologne (tout comme la Slovaquie, autrement proche d'Orban) s'oppose à Budapest concernant l'Ukraine. Orban risque donc de se trouver réellement isolé au sein de l'UE dans son opposition à la candidature de Kiev.
C'est peut-être ici que les relations d'Orban avec des pays à l'extérieur de l'UE deviennent signifiantes. Il est très intéressé non seulement par le maintien de ses liens avec Poutine, mais également par la « connectivité » avec d'autres partenaires à l'est, pas nécessairement des plus démocratiques. D'abord avec la Turquie d'Erdogan (invité à Budapest juste après le sommet de l'UE), mais aussi avec l'Azerbaïdjan (félicité par d'Orban suite à ses opérations au Karabakh), l'Asie centrale et la Chine. Ici, les intérêts économiques et la recherche d'une orientation politique stratégique semblent se recouper.
Il ne faut certes pas exagérer le poids de la Hongrie au niveau européen ou même régional (avec une population de seulement 9,71 millions contre 37,75 en Pologne). En même temps, tant que le droit de veto reste un pilier du fonctionnement des institutions européennes, Viktor Orban profite d'un pouvoir de nuisance disproportionné mais réel. L'amplification de sa voix internationale lui permet en outre d'asseoir sa réputation domestique dans un pays en quête d'une grandeur nationale perdue lors du Traité du Trianon en 1920 - une blessure primordiale régulièrement rappelée par le leader du Fidesz.