Grâce à l'Unesco, on va aimer faire des courses
Culture

Grâce à l'Unesco, on va aimer faire des courses

Par Louis Daufresne. Synthèse n°832, Publiée le 13/12/2019
La nouvelle aurait réjoui Maurice Herzog, légende des courses en haute montagne et ancien ministre gaulliste, mort il y a sept ans jour pour jour. Mercredi dernier à Bogota (Colombie), l’alpinisme était inscrit au patrimoine immatériel de l'Unesco. Quoi de plus inutile que « l'art de gravir des sommets et des parois en haute montagne » et quoi de plus essentiel que l’art ? L’enjeu de ce label est bien de dépasser le culte de l’exploit sportif, deux mois après l’impensable record du Népalais Nirmal Purja, vainqueur des quatorze 8000 en six mois et six jours (d'avril à octobre), alors que Reinhold Messner avait mis seize ans pour y parvenir dans les années 70 et 80.

L’idée de « classer » l’alpinisme remonte à une dizaine d’années, avec justement l’Autrichien Messner et l’Italien Walter Bonatti. Les deux monstres sacrés voient alors leur carrière récompensée d'un Piolet d'Or, l'Oscar de la discipline. Tous les points culminants de la planète sont « tombés », même s’il reste des voies à « conquérir », en particulier au K2, où (même) Mike Horn dut faire demi-tour en juillet. Bonatti (mort en 2011) et Messner voulaient mettre l'accent sur le « style alpin », ces ascensions réalisées avec peu d'aide et un minimum d'équipements « dans le respect de l'environnement et des populations », souligne Claude Gardien, guide de renom et membre du comité de pilotage créé en 2011 pour l’Unesco. Huit ans plus tard, le label pourrait donner un bel élan à la volonté de sauvegarder une pratique en danger. Car l'alpinisme souffre de maux évidents :

-     le changement climatique : les ascensions glaciaires deviennent impossibles à réaliser l’été et les chutes de pierres accrues rendent l'escalade plus dangereuse. L’an dernier, Olivier Bonnet, fondateur de la société Simond (fournisseur d'équipements d'alpinistes), périt emporté par un bloc, sous la Dent du Géant, bien qu'un guide l'accompagnât ;

-       la judiciarisation croissante en cas d'accident et de surfréquentation : la voie normale du mont Blanc est réglementée depuis le 31 mai. La haute montagne, désert hostile, va-t-elle demeurer un espace de liberté ? En même temps, l’attrait exercé par quelques sommets mythiques oblige les pouvoirs publics à réagir. Pour l'instant, la middle class chinoise saccage surtout les parcs nationaux américains. Qu'adviendra-t-il si ces touristes-là se mettent à lever les yeux ? ;

-     la concurrence de sports extrêmes comme le base jump (saut en parachute d’un point fixe) ou le wingsuit (vol en combinaison ailée) : quand la championne suisse Géraldine Fasnacht s’élance de la vierge des Drus ou du Cervin, c’est la chute qu’on regarde ! Grimper devient une formalité. Celle-ci périme tout un imaginaire porté par la littérature, allant de Frison-Roche à Samivel, Lionel Terray et l'inévitable Gaston Rébuffat. Les Conquérants de l'inutile n'ayant plus rien à défricher, on les rélègue dans la vitrine de nos souvenirs, ce tombeau du présent ;

-       la mode de l’ultra-trail : l’UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc) est de loin l’événement chamoniard de l’année. Pour les jeunes, le mutant Kilian Jornet est le Ronaldo des crêtes. Quant au VTTiste Antoine Bizet, avec son double backflip au Red Bull Rampage, c'est un Deus ex machina. À côté, l'alpinisme est peu spectaculaire. Le temps est loin où René Desmaison, passant 342 heures dans les Grandes Jorasses, sublimait en direct les ondes de RTL ;

-       la médiatisation calamiteuse : mise à part une belle presse spécialisée, on ne voit trop souvent de l'alpinisme que les pales de l'hélicoptère tournoyant au-dessus d’une civière. Il y a bien des rencontres avec le public comme le festival Montagne en Scène (jusqu’à lundi prochain au Grand Rex à Paris) mais ce genre de rendez-vous attire surtout les mordus ;

Il ne s’agit pas de pleurnicher sur les temps qui changent mais de renouer avec une identité forte. L’alpinisme, « c'est un style de vie pour beaucoup », selon Pierre Mathey, de l'Association suisse des guides de montagne, interrogé par l'AFP. Il définit cette discipline comme « une pratique physique dotée d'une culture partagée, un art fait de savoirs, de savoir-faire et d'acquisition de connaissances sur le milieu ». N'en déplaise à feu Ueli Steck, le plus célèbre des speed climber, l’alpinisme est un art de la patience, une ode à la contemplation et bien sûr une lutte contre soi-même. Nietzsche ne disait-il pas que « l'homme est une corde tendue au-dessus de l'abîme » ? L'amour, la guerre, la nature nous révèlent à nous-mêmes.

Une race d'hommes (et de femmes !) fuit la platitude pour poser son pied sur les pliures de la Terre. Ce n'est pas nouveau. La première corporation dans le Val d'Aoste (Italie) date du XIIIe siècle. Le Florentin Pétrarque gravit le Mont Ventoux vers 1350, Antoine de Ville le Mont Aiguille en 1492 pour le compte de Charles VII et le naturaliste suisse Conrad Gessner le Mont Pilatus (près de Lucerne) en 1555. Mais l'acte fondateur, si ce n'est l'acte de naissance, reste 1786, avec l'ascension du Mont-Blanc par la cordée Jacques Balmat et Michel-Gabriel Paccard. Le premier est cristallier et pauvre ; le second est médecin et notable. Le premier vainquit ses superstitions ancestrales ; le second lui laissa toute la récompense promise. En fait, ce label onusien ne récompense pas que les amoureux de la verticalité. On peut y reconnaître une attitude devant la vie, solitaire et solidaire à la fois. Les montagnards et les marins sont des taiseux mais ils pèsent leur parole du poids de l’amitié. Le lien social et le vivre ensemble ne sont pas des mots jetés dans l'espace. On mesure toute la richesse de ce patrimoine immatérielle quand l’Unesco affirme que « la transmission du savoir a une valeur sociale et économique ». Le duo mythique Balmat/Paccard montre que dans la vie, il n’y a pas que les « premiers de cordée ». D'ailleurs, sans les seconds, les premiers ne sont rien.
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Grâce à l'Unesco, on va aimer faire des courses
L'alpinisme inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO !
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