Politique
Giscard d'Estaing : du gaullisme au gauchisme
Valéry Giscard d’Estaing vient de mourir ; il avait 94 ans. Mais sa mort politique ne date pas d’hier ; elle remonte au 19 mai 1981. VGE n’a que 55 ans lorsqu’il dit « au revoir » aux Français, se lève et quitte la pièce en leur tournant le dos. Une scène d’anthologie. François Mitterrand va lui succéder. « Je n'avais jamais imaginé la défaite », confiera-t-il. Pourtant, celle-ci était logique. Depuis les années 60, la gauche marche vers le pouvoir. Aux législatives de 1978, le Parti socialiste – qui fait plus de voix que le PC – en prend la direction. Quant au RPR de Jacques Chirac, il va s’employer à éliminer son meilleur ennemi, le président sortant.
1981 tombe comme un fruit mûr pour la gauche. Cette date n’est pas une rupture. VGE regrettera de ne pas avoir aboli la peine de mort, la mesure la plus symbolique des deux mandats socialistes. Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ne sont pas des régents placés par la grande histoire entre de Gaulle et Mitterrand. Leurs présidences sont essentielles. Elles vont greffer la France sur d’autres références qu’elle-même : la construction européenne, Kennedy, l’Amérique. La France de Giscard se fait banale. Bien que sa famille eût défendu Philippe Auguste à Bouvines (1214), VGE fait supprimer les titres de noblesse dans les lettres de l'Élysée. L'homme paraît en pullover, s'invite à dîner chez M. Tout le monde, joue de l'accordéon, prend des petits déjeuners avec les éboueurs. Giscard inaugure le bougisme et la pipolisation : les journalistes le tracent sur les pistes de Courchevel. « L’inévitabilité du changement » devient la matrice de nos modes de vie. Pourtant, la France d’alors est encore celle du colbertisme, d’une autorité patriarcale que reflètent bien certains films de Louis de Funès. Le génie industriel n’y rencontre pas toujours le succès. Le Concorde et le paquebot France le prouvent, le TGV sera inauguré par son successeur. Comme le dit Emmanuelle Ménard, député de l'Hérault (proche du RN), VGE « symbolise la fin d'une certaine douceur de vivre ». Deux chocs pétroliers ne l’empêchent pas de présenter à la fin de son septennat le dernier budget à l’équilibre. Et bien que son Premier ministre Raymond Barre ne parvienne à juguler ni l’inflation ni le chômage, le pays figure encore parmi les nations puissantes et prospères. VGE, ajoute Ménard, demeure « le dernier président de la France d'avant ». Oui et non, tant ses réformes vont faire celle d’après, la nôtre.
C’est « l’ouverture au monde » et l’anglophilie qui caractérisent le pompidolisme puis le giscardisme. VGE est au gaullisme ce que Juan Carlos est au franquisme. Il en hérite pour l’enterrer et avec lui, le rêve d’indépendance nationale. L’assaut sur Kolwezi (mai 1978) apparaît comme l'ultime geste souverain. La loi de janvier 1973 limitant le financement de l’État par la Banque de France est une révolution, et les accords de la Jamaïque (janvier 1976) démonétisant l’or ouvre la porte du grand casino financier.
Beaucoup d’éloges rendus à VGE opèrent un travestissement sémantique. Modernisateur est assimilé à progressiste. Polytechnicien surdoué, produit de l’élitisme républicain, son phrasé guindé et son maniérisme de vieil aristo le font passer pour un homme de traditions (à l’image de sa passion pour la chasse). Giscard appartient en fait à cette haute technocratie visionnaire mais aveugle. François Bayrou dit de lui qu’il « avait tous les dons. Il dominait presque naturellement par sa prestance, sa distinction, sa langue, la vivacité de son intelligence et la force de ses intuitions ». Reste que notre duc d’Orléans met sur orbite le déverrouillage des mœurs porté par Mai 68. Sans en mesurer aucune des conséquences. Le réencodage culturel de la France la fait brutalement passer du gaullisme au gauchisme. Giscard court après la gauche qui va le rattraper pour le doubler, comme l’attestent ses réformes sociétales : majorité à 18 ans (juillet 1974), contraception étendue aux mineures et pilule remboursée par la Sécu (décembre 1974), adoption de loi Veil (janvier 1975), divorce par consentement mutuel (juin 1975) périmant l'adultère. La société change d’ère, d’air et d’aire : le décret autorisant le regroupement familial (avril 1976) suivi de l’arrêt Gisti (décembre 1978) fera exploser les cadres d’une immigration maîtrisée.
Qui, à part le progressisme, peut se référer au bilan de Valéry Giscard d’Estaing ? Pourtant, ses confidences profondes en étaient éloignées, comme celle-ci : « L'individualisme est un comportement exclusivement négatif, inspiré par la médiocrité et le ressentiment : il ne consiste pas à chercher l'élévation, l'épanouissement, mais à empêcher les autres de s'élever, à étouffer l'épanouissement des autres qui sont ressentis jalousement, comme une concurrence. Une société saine combat nécessairement l'individualisme. Elle cherche l'excellence, et ceci est incompatible avec l'individualisme. »
1981 tombe comme un fruit mûr pour la gauche. Cette date n’est pas une rupture. VGE regrettera de ne pas avoir aboli la peine de mort, la mesure la plus symbolique des deux mandats socialistes. Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ne sont pas des régents placés par la grande histoire entre de Gaulle et Mitterrand. Leurs présidences sont essentielles. Elles vont greffer la France sur d’autres références qu’elle-même : la construction européenne, Kennedy, l’Amérique. La France de Giscard se fait banale. Bien que sa famille eût défendu Philippe Auguste à Bouvines (1214), VGE fait supprimer les titres de noblesse dans les lettres de l'Élysée. L'homme paraît en pullover, s'invite à dîner chez M. Tout le monde, joue de l'accordéon, prend des petits déjeuners avec les éboueurs. Giscard inaugure le bougisme et la pipolisation : les journalistes le tracent sur les pistes de Courchevel. « L’inévitabilité du changement » devient la matrice de nos modes de vie. Pourtant, la France d’alors est encore celle du colbertisme, d’une autorité patriarcale que reflètent bien certains films de Louis de Funès. Le génie industriel n’y rencontre pas toujours le succès. Le Concorde et le paquebot France le prouvent, le TGV sera inauguré par son successeur. Comme le dit Emmanuelle Ménard, député de l'Hérault (proche du RN), VGE « symbolise la fin d'une certaine douceur de vivre ». Deux chocs pétroliers ne l’empêchent pas de présenter à la fin de son septennat le dernier budget à l’équilibre. Et bien que son Premier ministre Raymond Barre ne parvienne à juguler ni l’inflation ni le chômage, le pays figure encore parmi les nations puissantes et prospères. VGE, ajoute Ménard, demeure « le dernier président de la France d'avant ». Oui et non, tant ses réformes vont faire celle d’après, la nôtre.
C’est « l’ouverture au monde » et l’anglophilie qui caractérisent le pompidolisme puis le giscardisme. VGE est au gaullisme ce que Juan Carlos est au franquisme. Il en hérite pour l’enterrer et avec lui, le rêve d’indépendance nationale. L’assaut sur Kolwezi (mai 1978) apparaît comme l'ultime geste souverain. La loi de janvier 1973 limitant le financement de l’État par la Banque de France est une révolution, et les accords de la Jamaïque (janvier 1976) démonétisant l’or ouvre la porte du grand casino financier.
Beaucoup d’éloges rendus à VGE opèrent un travestissement sémantique. Modernisateur est assimilé à progressiste. Polytechnicien surdoué, produit de l’élitisme républicain, son phrasé guindé et son maniérisme de vieil aristo le font passer pour un homme de traditions (à l’image de sa passion pour la chasse). Giscard appartient en fait à cette haute technocratie visionnaire mais aveugle. François Bayrou dit de lui qu’il « avait tous les dons. Il dominait presque naturellement par sa prestance, sa distinction, sa langue, la vivacité de son intelligence et la force de ses intuitions ». Reste que notre duc d’Orléans met sur orbite le déverrouillage des mœurs porté par Mai 68. Sans en mesurer aucune des conséquences. Le réencodage culturel de la France la fait brutalement passer du gaullisme au gauchisme. Giscard court après la gauche qui va le rattraper pour le doubler, comme l’attestent ses réformes sociétales : majorité à 18 ans (juillet 1974), contraception étendue aux mineures et pilule remboursée par la Sécu (décembre 1974), adoption de loi Veil (janvier 1975), divorce par consentement mutuel (juin 1975) périmant l'adultère. La société change d’ère, d’air et d’aire : le décret autorisant le regroupement familial (avril 1976) suivi de l’arrêt Gisti (décembre 1978) fera exploser les cadres d’une immigration maîtrisée.
Qui, à part le progressisme, peut se référer au bilan de Valéry Giscard d’Estaing ? Pourtant, ses confidences profondes en étaient éloignées, comme celle-ci : « L'individualisme est un comportement exclusivement négatif, inspiré par la médiocrité et le ressentiment : il ne consiste pas à chercher l'élévation, l'épanouissement, mais à empêcher les autres de s'élever, à étouffer l'épanouissement des autres qui sont ressentis jalousement, comme une concurrence. Une société saine combat nécessairement l'individualisme. Elle cherche l'excellence, et ceci est incompatible avec l'individualisme. »