Gagner la paix
International

Gagner la paix

Par Romain Zaleski. Synthèse n°1734, Publiée le 03/11/2022 - Photo : Shutterstock
Depuis le 24 février, la guerre a fait sa réapparition en Europe. Stupéfaction des Européens qui croyaient sincèrement que la guerre, la vraie, était réservée aux peuples « inférieurs » n’ayant pas connu le bonheur d’adhérer aux dogmes, aux valeurs, aux certitudes du vrai monde, le monde occidental. Les Iraniens, les Irakiens, les Syriens, les Lybiens, les Afghans pouvaient s’entre-déchirer avec notre bénédiction – et quelquefois notre intervention – sans que cela empêche de dormir qui que ce soit. Mais aujourd’hui c’est différent. La guerre est à nos portes et nous y prenons part, qu’on le veuille ou non.

Nous y prenons part ? Mais oui, même si nous ne sommes pas belligérants. Nous fournissons les armes, les Ukrainiens ayant le monopole de la chair à canon. Et, surtout nous organisons un tam-tam, un tam-tam inouï d’information et de propagande. Mais tout cela, est-ce bien dans notre intérêt ? Avons-nous intérêt à la poursuite de la guerre ? Une guerre que personne ne peut, semble-t-il, gagner. Une guerre qui pourrait, semble-t-il, déraper pour une raison inconnue et qui échapperait alors à tous, tant sont immenses les dépôts d’armes de destruction massive ; un danger autrement plus réel que celui attribué, dans le passé, au président irakien, Saddam Hussein … 

Ce qui est sûr, c’est que nous payons déjà cette guerre fort cher. Notre économie en souffre et en souffrira de plus en plus : les prix, l’inflation, le fameux pouvoir d’achat. À terme, la cohésion sociale, qui se lézarde déjà, ne résistera pas. Peut-être aussi la monnaie subira-t-elle les effets de l’endettement public ? Seuls nos amis d’outre-atlantique en profitent en vendant – cher – l’énergie et les armes.

Il semble que la politique, la vraie, soit absente de nos réflexions. N’y a-t-il pas une autre voie ? Une autre voie que l’arrogance et la soumission aveugle à la volonté de nos amis ?

L’autre voie s’appelle la négociation, la négociation de bonne foi. Elle suppose de prendre en compte les intérêts légitimes de chaque partie en conflit mais aussi leurs aspirations, leurs désirs, leurs rêves. L’Ukraine, dont cette guerre est une sorte d’acte de naissance, comme pays souverain, indépendant et libre, mérite cette paix, certes pour ses dirigeants qui ont démontré leur capacité à faire front, mais surtout pour son peuple qui a souffert, qui souffre et qui a démontré sa détermination.

La Russie, abondamment décriée – dans la personne de ses dirigeants et de ses oligarques – a assumé tranquillement le rôle d’agresseur, le rôle du méchant. Mais ses raisons ne sont pas toutes mauvaises, loin de là. Elles sont d’abord historiques : la Russie est née à Kiev, en plein Moyen-Age, après la chute de Constantinople, quand elle a hébergé le Christianisme d’Orient – l’Orthodoxie – avant de se déplacer ensuite à Moscou. Mais elles sont surtout géographiques : la Crimée, le Donbass et les pourtours de la mer d’Azov ont toujours été russes, et sont peuplés aujourd’hui, en majorité, par des Russes. C’est par un décret de Nikita Khrouchtchev – un Ukrainien – alors secrétaire général du Parti communiste de l’URSS que ces territoires ont été rattachés à l’Ukraine, à l’époque partie intégrante de l’URSS dominée par la Russie. Certes, Nikita Khrouchtchev est plus connu par la crise de Cuba, en 1961-62, où il s’est opposé au Président Kennedy en risquant une guerre nucléaire, pour finalement signer la paix. Mais il ne pouvait pas prévoir alors le désastre que subirait la Russie, du fait de l’effondrement de l’URSS, par la victoire totale de l’Occident dans la guerre froide qui a opposé ces deux mondes, ces deux conceptions de l’Ordre mondial.

Étonnamment, Vladimir Poutine a attendu longtemps pour faire état de ses prétentions. Peut-être espérait-il satelliser toute l’Ukraine comme il a réussi à le faire avec la Biélorussie ? En Ukraine, il a échoué. L’Occident a gagné : il a conquis toute l’Ukraine, surtout son esprit. C’est irréversible.

Pour autant, faut-il être intransigeant ? Faut-il chercher la sur-victoire qui laisse des plaies qui ne peuvent cicatriser et qu’on paiera très cher dans l’avenir ? Faut-il s’arc-bouter sur la fameuse intégrité territoriale de l’Ukraine ou, simplement, accepter de redessiner malgré tout ses frontières ? Souvenons-nous, nous français, du nombre de morts que nous avons dû sacrifier pour reconquérir l’Alsace qui nous avait été enlevée par la désastreuse campagne de 1870 et par la paix qui a suivi, qui a établi un Ordre International inacceptable pour nous. L’Ordre International et le Droit International, qu’on cite souvent, ne sont pas tout. La justice et l’équité sont plus importantes. Un peu de générosité aussi, car elle peut transformer, à la longue, des ennemis potentiels en amis ou, au moins, en prochains non hostiles.

Une telle politique serait d’intérêt à long terme, non seulement pour les Européens mais encore pour nos amis d’outre-atlantique : elle serait de nature, un jour, à nous renforcer face à notre vrai concurrent, l’Asie, et à conférer plus de stabilité et de sécurité à la planète Terre.
La sélection
Gagner la paix
Henri Guaino : « Nous marchons vers la guerre comme des somnambules »
Le Figaro
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Valider
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS
Lire en ligne
L'émission sur C8
Lire en ligne
L'émission sur C8
Lire en ligne
L'émission sur C8
Lire en ligne
L'émission sur C8
Lire en ligne
L'émission sur C8
Lire en ligne
Lire en ligne
L'émission sur C8