Gabriel Matzneff, à corps perdu
Culture

Gabriel Matzneff, à corps perdu

Par Louis Daufresne. Synthèse n°846, Publiée le 30/12/2019
Après la moustache de Philippe Martinez, voici le crâne de Gabriel Matzneff ! La première symbolise l’épreuve de force avec le pouvoir ; le second trahit un penchant à se mettre à nu et à déshabiller les « moins de seize ans ». Mais si le premier se bat pour garder sa retraite, le second est en train de la perdre. Logé par la Ville de Paris (pour combien de temps ?), Gabriel Matzneff risque fort de se voir ôter la petite enveloppe que le CNL (Centre national du livre) alloue aux écrivains nécessiteux. Rattrapé par ce passé qui ne passe pas, l'homme de 84 ans réussit la prouesse de rassembler contre son nom un spectre allant des féministes aux cathos.

Jeudi prochain, 2 janvier, sort Le Consentement (Grasset). Sur 200 pages, Vanessa Springora décrit une relation sous emprise avec celui qu’elle nomme G. Elle a 14 ans et lui presque 50. On est au milieu des années 1980. Sans acrimonie, ni victimisation, celle qui est aujourd’hui la nouvelle directrice des éditions Julliard scrute l'ambivalence d'une époque où la libération sexuelle fricote avec la promotion de la pédophilie. Vanessa Springora parle aussi de la fascination exercée par l'écrivain, et du poids de cette histoire sur sa vie.

Le lauréat du Renaudot essai 2013 ne se résume pas à une belle plume. Figure prisée du milieu parisien, Gabriel Matzneff représente toute une esthétique, une manière d’être désinvolte et jouisseuse. Son public fidèle, en grande partie féminin, le tient en vénération. Bien qu’il ne cachât rien de ses aventures libidineuses, y compris avec des garçonnets en Asie, Gabriel Matzneff ne fut jamais ostracisé ni condamné par la justice. Mais il est loin d’être le seul dans ce cas, notamment dans le monde politique. L’écrivain chronique toujours au site du Point sur la spiritualité et les religions. On le sait orthodoxe et bon connaisseur des textes. « Comme tout le monde nous avons en horreur la pédophilie, il n'y a pas de débat là-dessus. Mais y a-t-il une raison de ne pas publier d'article de quelqu'un parce que son comportement est jugé immoral ? », confie Étienne Gernelle, le patron du Point, interrogé par l’AFP. Faut-il distinguer une œuvre de la moralité de son auteur ? Vaste question.

Comment une fille de 14 ans put-elle se laisser séduire – comme des dizaines d’autres ! – par ce personnage au crâne aussi désert que celui de l’acteur américain Yul Brynner ? Le charisme des chauves ne suffit pas à l’expliquer. Car le titre recèle en lui-même toute la complexité du sujet. En toute logique, le consentement exclut le viol. « Comment admettre qu'on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand on a ressenti du désir pour cet adulte qui s'est empressé d'en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime », écrit Vanessa Springora. Mais était-elle victime ? Oui dans la mesure où l’on peut consentir à quelque chose qui vous nuit : le drogué, par exemple, prend volontairement une substance nuisible à sa santé. D’un autre côté, on a du mal à la qualifier ainsi quand on prend connaissance de la dernière lettre qu’elle lui écrivit. Cette lettre constitue l’élément-clé de la défense de Gabriel Matzneff. Dans la vidéo jointe, il en fait le verbatim. Celui-ci commence à 1 h 09 min par ces mots : « (…) Alors je t'en prie, laisse-moi partir, et faire de nous deux mes plus beaux souvenirs. Je suis heureuse que les dernières heures que j'ai vécues avec toi aient été des heures de félicité, de plaisir, de tendresse. » Et les dernières paroles sont sans ambiguïté : « Une dernière fois je baise tes paupières si douces et j'espère que tu seras heureux. Adieu. » Entre les deux, ce ne sont que louanges et volupté.

Ces mots de son ex-admiratrice plaident-ils en faveur de Gabriel Matzneff ? En apparence seulement. Car après des années de psychanalyse, Vanessa Springora en vint à la conclusion qu’elle n’était pas si consentante qu’elle le croyait elle-même. Le fait qu’elle soit citée dans Harrison Plaza (La Table ronde, 1988) et La prunelle de mes yeux (Gallimard, 1995) l’enferma dans l’image d’objet littéraire que l’écrivain voulut renvoyer de sa conquête. Sans cette inscription dans l’éternité des lettres, aurait-elle pris la plume à son tour, pour dire qu'elle existe hors de son regard, de sa possession ? Aujourd’hui, Le Consentement offre une relecture de sa propre histoire dont la résilience n’est certainement pas absente. Il se pourrait que Gabriel Matzneff lui réponde par une autre lettre, ouverte cette fois.

Dans sa loi contre les violences sexuelles d'août 2018, le gouvernement renonça à instaurer un âge minimal de consentement à un acte sexuel, promis à 15 ans. Il se souvint peut-être que mademoiselle de La Fontaine fut mariée à notre fabuliste national dès l’âge de… 14 ans. Vanessa Springora l’explique à l’Obs : « J'espère apporter une petite pierre à l'édifice qu'on est en train de construire autour des questions de domination et de consentement. » Dans deux affaires récentes, la justice estima que des fillettes de 11 ans étaient consentantes.
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Gabriel Matzneff nous dévoile la dernière lettre de Vanessa Springora
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