France, pays des droits de la LOM
Politique

France, pays des droits de la LOM

Par Louis Daufresne. Synthèse n°844, Publiée le 27/12/2019
En langage techno, on l’appelle la loi d’orientation des mobilités, la LOM. Celle-ci vient d’être publiée au Journal officiel.

Mobilité, on en rêverait.

C’est encore un mot gonflé à l’hélium de la pensée positive. À les écouter s'enchaîner, ses quatre syllabes s’écoulent à la manière d’un torrent guilleret dévalant la pente d'une montagne à toute allure. Au pluriel, le s fait le même effet que le signe d’une puissance en mathématique : il multiplie les possibles en autant de désirs d’ailleurs. La mobilité produit un effet magique, celui de transformer la galère en « moments de grâce », comme disait Nathalie Kosciusko-Morizet à propos de l’enfer de la ligne 13. Bref, ce mot nous rend plus légers et plus libres, alors que dans les faits, ô paradoxe, la France s’enlise dans la grève comme les poilus dans leurs tranchées boueuses. La LOM est présentée comme « une réponse forte aux fractures et aux injustices que connaissent les Français et les territoires quant à leur accès aux transports ». Mais la réponse forte ne consisterait-elle pas à faire rouler les trains ? Le pays connaît aujourd’hui son 22e jour de grève, ce qui lui promet de faire pis que le « mouvement » social de 1995 ! La LOM n’est pas une énième loi. Il y a un an, ce texte visait à atténuer ce « sentiment d’abandon » si présent dans bon nombre de territoires de province, alors qu'émergeaient tout juste les Gilets jaunes.

À quoi ressemble ce texte touffu de 189 articles (!) muni d’une grosse enveloppe (13,7 milliards d'euros jusqu’en 2023) ? La priorité est donnée aux « déplacements du quotidien » et à l'entretien des réseaux existants. Il ne convient pas ici de détailler tout le projet mais d'en souligner un point, un point aussi gros que les ronds-points de la contestation : celui des 80 km/h en vigueur depuis le 1er juillet 2018. La LOM va permettre de repasser à 90 km/h une partie des routes secondaires à double sens sans séparateur central. Faut-il voir dans ce geste un assouplissement ? À première vue, oui. À bien y regarder, non. De nombreux chefs de conseils départementaux sentent l’embrouille comme des souris devant une tapette. Sur 87 départements métropolitains, seuls 25 s’apprêtent à revoir la vitesse à la hausse, selon un recensement réalisé par l'AFP. Une majorité de chefs d'exécutifs locaux (42) – y compris de fervents pro-90 km/h ! – attend de voir s’il s’agit d’un piège grossier. De fait, Il y a lieu de se méfier. Quand la vitesse fut abaissée à 80 km/h, le gouvernement ne s’embarrassa point de savoir ce qu’en pensaient les présidents de département. Et voilà que maintenant, l’exécutif les charge de la responsabilité d'assumer un changement de vitesse autorisée… Repasser à 90 km/h, « ce sont des décisions qui sont lourdes et qu'il faut assumer en conscience », avait prévenu Édouard Philippe en janvier dernier. Après six mois de 80 km/h, le Premier ministre se félicitait des chiffres « historiques » de la mortalité routière (3488 tués en 2018). Paris n’allait pas capituler en si bon chemin pour faire plaisir à des gars qui « fument des clopes et roulent au diesel », selon l’expression de Benjamin Griveaux, prétendant LREM au trône parisien. Alors, voici l’arme fatale dont s'indigne François Sauvadet, président du Conseil départemental de Côte-d'Or : « En menaçant les présidents de département de recours en justice de la part de victimes de la route, le gouvernement met clairement la pression sur les exécutifs départementaux ». Voilà en effet qui va les faire réfléchir avant de passer à l'acte. François Sauvadet relèvera la limitation de vitesse mais revoit ses ambitions à la baisse : « J'avais initialement annoncé que 80 % à 90 % du réseau départemental pourraient repasser à 90 km/h. Les nouvelles règles, définies unilatéralement par le gouvernement, m'en empêcheront. Néanmoins, tous les axes structurants repasseront à 90 km/h », assure-t-il.

En juin, le comité des experts du Conseil national de sécurité routière publiait des « éléments d'aide à la prise de décision ». Il ne serait possible de repasser à 90 km/h que sur des tronçons de moins de dix kilomètres – qui comporteraient des arrêts de transports en commun ou seraient fréquentés par des engins agricoles. Ce point, paraît-il, fait sourire dans les campagnes. Plus dissuasif encore, il serait interdit de doubler sur ces portions et surtout, il faudrait que les communes fussent pourvues d’itinéraires de contournement ! « Remplir tous ces critères semble relever de la gageure », estime le Dordognot Germinal Peiro. La LOM illustre, si besoin en était, l’écart persistant entre ceux qui décident et ceux qui obéissent. On est au cœur du mal français où les décisions se prennent peu dans la concertation. Certes, d'autres pays comme les États-Unis ont aussi des législations répressives mais en France, l'État infantilise le citoyen qui, en retour, tel un enfant gâté, le lui fait payer par son incivisme. Les choses ont peu de chance de s'arranger : 1200 radars tourelles multi-infractions devraient être installés courant 2020 et 6000 jusqu'en 2022. Cette armée de robots fera-t-elle baisser le seuil de morts sur la route (9,5 par jour en moyenne) ? Espérons-le. Espérons aussi que la sécurité soit plus un objectif qu'une rente fiscale.
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