En France, le baby crack se confirme pour 2023
« Chaque nouveau mois qui passe confirme la baisse de la natalité en France ». Ainsi Le Figaro commentait-il en septembre les chiffres provisoires de l'Insee. Aux deux tiers de l'année, on recensait « environ 35 000 naissances de moins en 2023 qu'en 2022 », soit « une baisse de 7,2 % ».
Trois mois plus tard, le baby crack se confirme : le nombre de naissances est passé en 2023 sous la barre symbolique de 700 000 avec 621 691 naissances, soit un recul de 6,8 % sur onze mois. C'est le niveau le plus bas depuis 1945 ! En 2022, 726 000 bébés « seulement » avaient vu le jour. Il s'agissait déjà du nombre de naissances le plus faible depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Novembre 2023 est le 17ème mois consécutif de recul. 56 297 bébés sont nés sur cette période, soit 5,1 % de moins qu'un an plus tôt.
Bien qu'il soit aussi en repli, le taux de fécondité de la France reste, selon Eurostat, le plus élevé de l'Union européenne, avec 1,84 enfant par femme en 2021. La moyenne de l'UE n'excède pas 1,53.
Le baby crack n'est pas ponctuel. À l'exception de l'année 2021 marquée par le confinement lié au Covid-19, la baisse de la natalité est continue depuis 2011. Que le nombre de femmes en âge de procréer tende à diminuer ne suffit pas expliquer l'ampleur et la persistance du phénomène.
L'IVG reste à un niveau très élevé : on enregistrait 234 300 interruptions volontaires de grossesse en 2022, soit 17 000 de plus qu'en 2021 et environ 7000 de plus qu'en 2019, selon la Drees. Mais l'Insee décorrèle avortement et natalité pour mettre en avant d'autres facteurs sociaux : le premier, c'est que « pour fonder une famille, il faut avoir de l'espoir. Or les jeunes générations sont peut-être plus habitées par l'inquiétude quant à leur avenir », commente Catherine Scornet, maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille, interrogée par l'AFP. Cet argument a ses limites si, par exemple, on compare la France, pays attrayant, à la bande de Gaza, territoire sans espoir. Là-bas, 41 % de la population avait moins de 14 ans en 2022 et les plus de 65 ans ne dépassait pas 3 %, selon le Bureau central des statistiques palestinien. En clair, le dénuement et l'incertitude n'empêchent pas une population de se reproduire.
Ensuite, « les femmes diplômées sont celles qui se projettent le plus en dehors de la maternité », indique Scornet. Plus on est qualifié, moins on a d'enfants. Diplôme contre berceau : ce n'est pas nouveau non plus mais ça s'accentue. Car pour maintenir son niveau de vie, la France devra se former toujours plus et mieux. À Paris, le rectorat va fermer 125 classes dans le premier degré à la prochaine rentrée, alors que la capitale a déjà perdu environ 160 classes en 2023. Certes, le prix de l'immobilier oblige aussi les familles à s'installer ailleurs.
Les politiques publiques ne peuvent pas grand-chose. « Les gens savent que faire des enfants impliquent des dépenses sur le long terme », souligne Laurent Toulemon, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined). En Corée du Sud, malgré une politique familiale volontariste, « les femmes savent qu'elles devront effectuer des sacrifices énormes pour élever des enfants, du fait des normes sociales », ajoute le démographe. Le regard de l'autre et la concurrence expliquent le baby crack dans les sociétés développées. Il ne suffit pas de nourrir un bébé mais de placer un cheval de course dans le couloir gagnant. C'est l'eugénisme scolaire. L'expression « projet parental » reflète cette conception instrumentale.
Dans ces conditions, la natalité ne peut que reculer en Occident, d'autant que les femmes n'envisagent pas de « rester à la maison » et aucun dispositif ne les y encourage. Le modèle du couple biactif sorti du foyer fait tourner l'économie (la fortune des fabricants de plats cuisinés s'explique ainsi). On retombe alors sur l'équation impossible : concilier vie professionnelle et familiale. « Les politiques publiques efficaces sont celles qui rendent la vie plus facile aux parents », relève Toulemon. Mais là-dessus, on est au point mort. Ni le politique, ni l'entreprise ne font de cette équation un sujet de société, et ce malgré l'arrivée du télétravail. Le baby crack en témoigne. La dénatalité serait-elle donc un choix ?
Car se greffe ici une autre aspiration montante : on décide d'avoir moins ou pas d'enfant du tout pour des « raisons libertaires » liées à « l'émancipation individuelle », souligne Scornet. Le Childfree (sans enfant par choix) et le Dink (dual income no kid – double revenu, pas d'enfant) relèvent de l'hédonisme contemporain. Le Gink (Green inclination no kid – engagement vert, pas d'enfant) instaure un crime écologique : on ne devrait pas avoir d'enfant parce que la planète devient invivable et que lui-même contribuerait à la dégrader. Dans cette perspective, le baby crack ne serait pas une mauvaise nouvelle mais le signe d'une humanité enfin devenue « consciente de ses limites ». Notre époque fait peur...