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Par Louis Daufresne. Synthèse n°780, Publiée le 14/10/2019
Ratage et bidonnage sont les deux mamelles de la farce ! Comme mes confrères doivent la regretter, cette « Une » triomphaliste ! La voilà gravée dans le marbre des annales de la presse. Ce seul mot, « Arrêté », surplombant la photo de Xavier Dupont de Ligonnès, lunettes et petit foulard. L’homme le plus recherché de France, s’il vit toujours, doit s’en étrangler de rire. Un point d’interrogation aurait suffi à éviter le naufrage éditorial mais quel sens le public aurait-il pu donner à ce signe d’incertitude ? Pour une fois qu’un journal doublait BFM TV, ... mais il ne fallait pas se rater. Car ce qui est écrit est écrit. Pour la vie. La presse, dont l’image est dégradée, rappelle à nos contemporains la beauté de son exigence : elle ne pardonne pas. Maintenant, l’évidence fait mal : c’étaient aux journalistes du Parisien de s’arrêter avant de commettre ce loupé d’anthologie. Si Internet ignore l’erreur (actualisant en permanence, on peut raconter n’importe quoi ou presque), le papier la fige dans toute sa splendeur. Et le Champagne peut repartir dans le frigo.

Vendredi 11 octobre, à 20h44, quand Le Parisien sort l’info, très rapidement, la surprise fait place au doute : comment un homme recherché depuis huit ans pouvait-il oser prendre l’avion dans l’espace européen, franchir tous les contrôles de sécurité, s’embarquer de Roissy puis déambuler dans les couloirs d’un aéroport international ? Il y a tout de suite quelque chose d’invraisemblable. Sur la base de l'article du Parisien et d'une dépêche AFP, une kyrielle de journaux va se retrouver farcie par une flics news, y compris Le Figaro.

Car enfin, que nous révèle cette histoire ? Plusieurs choses :

  1. Rien ne remplace le fait de vérifier par soi-même. Ce n’est pas un hasard si Le Parisien cherche à se défendre en arguant que son info était confirmée sur la foi de « cinq sources distinctes », comme si cela pouvait le dispenser d’aller sur le terrain. Le quotidien raconte avoir « contacté cinq sources judiciaires françaises, à différentes strates de hiérarchie et autant centrales que régionales. On ne parle pas ici de cinq personnes assises dans un même bureau », précise Stéphane Albouy, directeur des rédactions. « Nous avons multiplié les angles de recherche et de confirmation, c'était à un très haut niveau de vérification », ajoute-t-il. Je serais aussi curieux de savoir si ces sources sont les mêmes que celles de l’Agence France-Presse – qui relaie l’info du Parisien un quart d’heure plus tard (21h01). L’agence explique qu’elle disposait « de quatre sources policières françaises différentes avec lesquelles les journalistes ont l'habitude de travailler en confiance. Toutes relèvent que "selon la police écossaise" les empreintes digitales de l'homme interpellé à Glasgow "correspondent". Il n'y a pas de conditionnel dans ce que rapportent les Écossais à leurs collègues français ». Malgré toutes ces cautions, vendredi soir, la prudence s’impose encore car la police écossaise, sollicitée par l’AFP, ne publiera de communiqué que peu après 23h00. Ce communiqué dira la chose suivante : « Un homme a été arrêté à l'aéroport de Glasgow et demeure en garde à vue à la suite d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités françaises. L'enquête se poursuit pour confirmer son identité ». « C'est la seule communication officielle de la police écossaise à ce stade », reconnaîtra l’AFP. Autrement dit, à 20h44, quand l’info est balancée, Le Parisien puis l’AFP ne sont sûrs de rien. Certains media sentent quand même le coup foireux, comme BFM TV qui titre vendredi soir que les policiers « pensent avoir arrêté Xavier Dupont de Ligonnès », formulation qui nuance tout de même les choses. Il s’agit de l’une des plus grandes énigmes criminelles. Pourquoi, avant de sortir quoi que ce soit, les rédactions n’ont-elles pas envoyé des reporters à Glasgow, c’est-à-dire des professionnels dont le métier consiste à vérifier l’information par eux-mêmes ?


La dépêche du vendredi 11 octobre, 21h01 :

ALERTE
Xavier Dupont de Ligonnès arrêté à l'aéroport de Glasgow (source proche enquête)
kap/blb/fmp
Copyright AFP - 2019

  1. Les journalistes police/justice dépendent trop de leurs sources policières. Dans une précédente LSDJ consacrée à l’affaire François de Rugy, j’écrivais que « l’extériorité d’Edwy Plenel est un effet d’optique car les informations que divulgue Mediapart (ou le Canard enchaîné) lui sont transmises, souvent par des rouages institutionnels ». En clair, les journalistes se font trop souvent les relais serviles des sources policières. Neuf fois sur dix, le public n’y voit que du feu, et pense que ce sont les journalistes qui font des enquêtes, alors que celles-ci leur sont fournies clé en main. À la vérité, la profession est fragile et impuissante devant des autorités qui leur disent ce qu’elles veulent. Mais par amour propre, le journaliste ne veut pas reconnaître sa position subalterne. Cette dépendance à l’égard des sources policières est aussi consentie. Il y a une jouissance à en être, à appartenir au petit milieu de ceux qui savent avant tout le monde. Et cette hybridation avec les circuits officiels fait fi d’une certaine prudence. Pourquoi ne pas avoir attendu le résultat des tests ADN ? Pourquoi ne pas avoir attendu d’être en présence de Xavier Dupont de Ligonnès lui-même, de vérifier qu’il s’agit bien de lui en chair et en os ? On n’était pas à 24 heures près. Que faites-vous du scoop ? va-t-on répondre. Sauf que tout va tellement vite qu’il n’y a plus de scoop. Celui-ci existait quand la presse régnait sur le temps médiatique. Mais maintenant que toute info est aussitôt partagée et oubliée, un journal ne peut capitaliser seul sur une primeur.


La dépêche du samedi 12 octobre, 12h55 :

ALERTE

L'homme arrêté à Glasgow n'est pas Dupont de Ligonnès après un test ADN négatif (source proche enquête)
kap/blb/spi
Copyright AFP - 2019 

  1. Ce ratage montre que les fake news ne sont pas l’apanage des amateurs, des fadas du complotisme 2.0. Bien sûr que l’AFP, agence partiellement d’État, n’a pas voulu intoxiquer l’opinion. N’empêche qu’elle n’a pas plus vérifié l’info que n’importe quel zozo du net, alors que ses dépêches irriguent tous les media d’information, que l’AFP fait office de grossiste quand journaux, TV et radios jouent le rôle de la grande distribution. Il est trop facile de reporter la faute sur la police écossaise. Il est aussi trop facile, même si c’est exact, de dire que les policiers français auraient dû se taire et obliger leurs pairs britanniques à faire de même. Malgré toutes les explications techniques que mes confrères s’épuisent à donner depuis samedi, il y a une seule chose qui vaille : il fallait simplement vérifier par soi-même. Depuis quand la police et la presse auraient-elles des intérêts convergents ? Que la première manipule la seconde est compréhensible. Que la seconde gobe ce que lui raconte la première l’est beaucoup moins. La police n’a de comptes à rendre à personne : si le tuyau est percé, ce sont les journalistes qui prennent une douche froide.


  1. La bonne nouvelle dans cette histoire, c’est que malgré nos énormes moyens de communication, l’erreur est toujours humaine, et ça, c’est rassurant. L’ADN, comme une empreinte digitale, c’est de l’humain. Nul homme n’est pareil à un autre. L’erreur est survenue dans un domaine où elle n’aurait jamais dû se produire. Cette histoire n’est qu’une illustration moderne de « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ». La police écossaise « jurait » avoir entre les mains l’homme le plus recherché de France. Mais pour elle, Xavier Dupont de Ligonnès était un inconnu. Il n’y avait aucun enjeu pour les Écossais, ce qui aurait dû, là aussi, élever notre seuil de prudence. Après l’annulation de France-Angleterre en rugby, c’est l’Écosse qui plante un bel essai dans le jardin de nos défaillances. Au pays du whisky, on s’est laissé scotcher, comme des bleus !
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