International
Faut-il fermer l'Île Longue ?
La silhouette de la Bretagne ressemble à un bras qui s'étire vers le vaste monde, le bras armé de la France - qui tient l'humanité en joue. H24, 365 jours par an. Entre Lanvéoc et Roscanvel, l’antre de l’Île Longue abrite quatre monstres marins qui font la fierté de la Marine nationale : Le Triomphant, Le Téméraire, Le Vigilant et Le Terrible. À l’heure où vous lisez ces lignes, l’un d’eux, tapi dans l’océan, se tient à prêt à exécuter l’ordre de l’Élysée. La force océanique stratégique (FOST) assure ce service permanent à la mer depuis 1973. Héritage du gaullisme flamboyant. Chaque SNLE (sous-marin nucléaire lanceurs d’engin) est doté de 16 missiles portant chacun plusieurs têtes atomiques. N’importe quel ennemi, si loin qu’il soit, peut être vitrifié en quelques minutes. Le film d’Antonin Baudry Le Chant du loup (2019) explore l’univers clos de ces moines soldats d’un nouveau genre – qui ont pour seul déambulatoire les coursives de leur cachalot en métal. L’élite de l’élite commande ces bâtiments – qui a le feu au bout de son doigt. Si l’outil crée l’organe, l’arme absolue fabrique un type d’homme à son image.
Faut-il arrêter tout ça ? Transformer l’Île Longue en musée-mémorial du souverainisme tricolore et faire ainsi rimer Crozon avec Albion. Avant sa fermeture en 1996, ce plateau du Vaucluse hébergeait dix-huit silos de missiles balistiques pointés vers le ciel.
Au Japon, Le pape François ne s’est pas pris les pieds dans le tapis de bombes. L’atome en est sorti atomisé. Cultivant le souvenir des journées d’apocalypse du 6 et 9 août 1945, l’archipel nippon attendait la parole de la conscience de l’humanité – et cette parole n’a pas défailli. Le pape a livré l'un de ses plus puissants plaidoyers contre l'arme atomique, contre la guerre et les fabricants d'armes.
Première salve, à Nagasaki, frappée le 9 août 1945 par une seconde bombe A : devant des survivants, les « hibakusha », il a rejeté la doctrine de la dissuasion selon laquelle un pays possédant l'arme nucléaire se sanctuarise automatiquement. Pour le pape, la possession d’armes atomiques et « d’autres armes de destruction massive » n’instaure qu’une « fausse sécurité » fondée sur la « crainte » et la « méfiance qui finit par envenimer les relations entre les peuples et empêcher tout dialogue ». « La paix et la stabilité internationales sont incompatibles avec toute tentative de compter sur la peur de la destruction réciproque ou sur une menace d’anéantissement total », a-t-il affirmé. Pourquoi insister sur cette menace aujourd’hui ? Car elle existe ! Le pape a invité à « rompre la dynamique de méfiance qui prévaut actuellement » entre États « et qui fait courir le risque d’arriver au démantèlement de l’architecture internationale de contrôle des armes ». De fait, les textes régulant les deux principaux arsenaux, américain et russe, sont remis en cause, avec :
- la sortie des Américains en août du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaires en Europe (FNI) ;
- l’échec probable de l’examen du traité de non-prolifération en 2020 ;
- les incertitudes sur le renouvellement du grand traité bilatéral New-START sur les armes stratégiques en 2021 ;
- l’impasse du traité sur l’interdiction complète des essais.
Parallèlement, le pape François a estimé que l’argent consacré à l’armement pourrait servir non seulement au développement (discours classique) mais aussi à la préservation de la planète.
Deuxième salve, à Hiroshima, première ville martyre anéantie le 6 août 1945 : « L'utilisation de l'énergie atomique à des fins militaires est aujourd'hui plus que jamais un crime, non seulement contre l'homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d'avenir dans notre maison commune ». Et d’ajouter : « Comme est immorale la possession d’armes atomiques. » Il y a deux ans, le Saint-Siège avait ratifié le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN) et lors d'un symposium au Vatican, François avait déjà condamné « la possession » même d'armes nucléaires outre « la menace de leur usage ».
Troisième salve, aujourd’hui à Fukushima, où le 11 mars 2011 survint le pire accident nucléaire depuis Tchernobyl en 1986. Le tsunami qui atteignit la centrale tua quelque 19000 personnes. Devant des victimes, le pape a dit sa « préoccupation ». En langage diplomatique, cela veut dire son opposition : « Notre époque est tentée de faire du progrès technologique la mesure du progrès humain », a-t-il estimé. « Il est important (…) de marquer une pause et de réfléchir sur qui nous sommes et, peut-être de manière plus critique, sur qui nous voulons être ».
Pour résumer, le pape François rejette le nucléaire en bloc, militaire et civil, usage et possession d’armes atomiques. Sur la dissuasion, il va plus loin que ses prédécesseurs : devant l'ONU en 1982, Jean-Paul II avait défini cette doctrine comme un mal nécessaire « dans les conditions actuelles ». Celles-ci ont-elles changé ? Oui et non. C’est la perception du nucléaire qui n’est plus la même. Le terrorisme a supplanté l’apocalypse. L’atome étant l’arme absolue, on voit difficilement comment les sociétés les plus développées pourraient s’en déposséder. Pour la France, c’est la dissuasion qui justifie encore son siège au Conseil de sécurité des Nations unies. Au Japon, le pape a repris un mot d’ordre pacifiste déjà employé par Paul VI et Jean Paul II « : « Élevons ensemble un cri : plus jamais la guerre, plus jamais le grondement des armes ! ». Si les armes ne grondent plus au-dessus de nos têtes, c’est aussi parce qu'au fond de l’eau, un monstre veille.
Faut-il arrêter tout ça ? Transformer l’Île Longue en musée-mémorial du souverainisme tricolore et faire ainsi rimer Crozon avec Albion. Avant sa fermeture en 1996, ce plateau du Vaucluse hébergeait dix-huit silos de missiles balistiques pointés vers le ciel.
Au Japon, Le pape François ne s’est pas pris les pieds dans le tapis de bombes. L’atome en est sorti atomisé. Cultivant le souvenir des journées d’apocalypse du 6 et 9 août 1945, l’archipel nippon attendait la parole de la conscience de l’humanité – et cette parole n’a pas défailli. Le pape a livré l'un de ses plus puissants plaidoyers contre l'arme atomique, contre la guerre et les fabricants d'armes.
Première salve, à Nagasaki, frappée le 9 août 1945 par une seconde bombe A : devant des survivants, les « hibakusha », il a rejeté la doctrine de la dissuasion selon laquelle un pays possédant l'arme nucléaire se sanctuarise automatiquement. Pour le pape, la possession d’armes atomiques et « d’autres armes de destruction massive » n’instaure qu’une « fausse sécurité » fondée sur la « crainte » et la « méfiance qui finit par envenimer les relations entre les peuples et empêcher tout dialogue ». « La paix et la stabilité internationales sont incompatibles avec toute tentative de compter sur la peur de la destruction réciproque ou sur une menace d’anéantissement total », a-t-il affirmé. Pourquoi insister sur cette menace aujourd’hui ? Car elle existe ! Le pape a invité à « rompre la dynamique de méfiance qui prévaut actuellement » entre États « et qui fait courir le risque d’arriver au démantèlement de l’architecture internationale de contrôle des armes ». De fait, les textes régulant les deux principaux arsenaux, américain et russe, sont remis en cause, avec :
- la sortie des Américains en août du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaires en Europe (FNI) ;
- l’échec probable de l’examen du traité de non-prolifération en 2020 ;
- les incertitudes sur le renouvellement du grand traité bilatéral New-START sur les armes stratégiques en 2021 ;
- l’impasse du traité sur l’interdiction complète des essais.
Parallèlement, le pape François a estimé que l’argent consacré à l’armement pourrait servir non seulement au développement (discours classique) mais aussi à la préservation de la planète.
Deuxième salve, à Hiroshima, première ville martyre anéantie le 6 août 1945 : « L'utilisation de l'énergie atomique à des fins militaires est aujourd'hui plus que jamais un crime, non seulement contre l'homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d'avenir dans notre maison commune ». Et d’ajouter : « Comme est immorale la possession d’armes atomiques. » Il y a deux ans, le Saint-Siège avait ratifié le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN) et lors d'un symposium au Vatican, François avait déjà condamné « la possession » même d'armes nucléaires outre « la menace de leur usage ».
Troisième salve, aujourd’hui à Fukushima, où le 11 mars 2011 survint le pire accident nucléaire depuis Tchernobyl en 1986. Le tsunami qui atteignit la centrale tua quelque 19000 personnes. Devant des victimes, le pape a dit sa « préoccupation ». En langage diplomatique, cela veut dire son opposition : « Notre époque est tentée de faire du progrès technologique la mesure du progrès humain », a-t-il estimé. « Il est important (…) de marquer une pause et de réfléchir sur qui nous sommes et, peut-être de manière plus critique, sur qui nous voulons être ».
Pour résumer, le pape François rejette le nucléaire en bloc, militaire et civil, usage et possession d’armes atomiques. Sur la dissuasion, il va plus loin que ses prédécesseurs : devant l'ONU en 1982, Jean-Paul II avait défini cette doctrine comme un mal nécessaire « dans les conditions actuelles ». Celles-ci ont-elles changé ? Oui et non. C’est la perception du nucléaire qui n’est plus la même. Le terrorisme a supplanté l’apocalypse. L’atome étant l’arme absolue, on voit difficilement comment les sociétés les plus développées pourraient s’en déposséder. Pour la France, c’est la dissuasion qui justifie encore son siège au Conseil de sécurité des Nations unies. Au Japon, le pape a repris un mot d’ordre pacifiste déjà employé par Paul VI et Jean Paul II « : « Élevons ensemble un cri : plus jamais la guerre, plus jamais le grondement des armes ! ». Si les armes ne grondent plus au-dessus de nos têtes, c’est aussi parce qu'au fond de l’eau, un monstre veille.