Explosion des bipeurs du Hezbollah : retour sur le dernier coup du Mossad et ses précédents
On retrouve les prémices de ce coup dans l'opération Colère de Dieu et l'assassinat de Mahmoud Hamchari en 1972. Après la prise d'otages des Jeux olympiques de Munich en 1972, Israël mène une série de représailles : jusqu'en 1992, les services israéliens assassinent méthodiquement les auteurs suspectés du « massacre de Munich ». L'assassinat le plus célèbre est sans doute celui de Mahmoud Hamchari, représentant de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris. En décembre 1972, un agent du Mossad se fait passer pour un journaliste italien pour l'interviewer chez lui. Après la discussion, prétextant un appel avec son éditeur, le faux journaliste en profite pour examiner le téléphone fixe du domicile. Lorsque Hamchari quitte les lieux, une équipe du Mossad place des explosifs dans l'appareil. Le lendemain, un agent passe un appel depuis une cabine téléphonique et demande à Hamchari, à l'autre bout de la ligne, de confirmer son identité. Le reste de l'équipe, garée en bas de l'immeuble, active la bombe et le téléphone explose.
L'assassinat de Yahia Ayache, l'artificier du Hamas, en 1996, témoigne du perfectionnement des techniques israéliennes. Surnommé al-Muhandis (« l'Ingénieur »), l'homme est réputé pour la fabrication de bombes. Le renseignement israélien apprend qu'il se rend souvent à Gaza chez son ami d'enfance Osama Hamad. Or, l'oncle de cet ami, Kamil Hamad, est connu des autorités. Sous la menace, les agents israéliens le forcent à coopérer. Il se voit confier un téléphone portable censé mettre Ayache sur écoute, ignorant que l'appareil était piégé avec des explosifs. Le 5 janvier 1996, Ayache reçoit un appel de son père. Dès que « l'Ingénieur » répond, la bombe est déclenchée. Cette opération est l'une des premières à utiliser un téléphone mobile non seulement pour la collecte de renseignements, mais comme arme létale. L'assassinat d'Ayache a semé la peur dans les rangs du Hamas, et cela conduira à l'abandon progressif des téléphones portables, trop faciles à localiser. Israël se resservira de cette paranoïa trente ans plus tard, poussant le Hezbollah à l'achat de bipeurs.
La coordination entre le renseignement israélien et l'écosystème technologique du privé permet au premier d'avoir souvent une longueur d'avance sur ses ennemis. Près d'un an après le 7 octobre 2023 vécu par la population israélienne comme un échec historique du renseignement et une rupture du « pacte de sécurité » qui lie la société israélienne à son État, les assassinats ciblés dans les pays voisins puis l'opération des bipeurs auront sans doute achevé de redonner du crédit au Mossad en interne. Le service de renseignement capitalise notamment sur un vaste écosystème de startups. Cette synergie entre agences de renseignement et entreprises privées est illustrée par le développement de Libertad Ventures, le fonds d'investissement technologique du Mossad, qui lui permet de financer des startups technologiques et d'avoir recours à des méthodes particulièrement innovantes et efficaces.
L'opération des bipeurs, par son échelle, instaure un climat de terreur au Liban et ouvre la voie à une escalade du conflit dans la région. Alors que ces assassinats par appareil piégé étaient réservés à des individus très ciblés, l'ampleur d'un tel événement n'a pu épargner les victimes collatérales. Des exemples sinistres, comme l'explosion d'un talkie-walkie lors des obsèques d'un individu assassiné la veille, illustrent l'avènement d'un nouveau climat de terreur. Enfin, l'événement ne se résume pas à une opération étonnante : elle a ouvert la voie à une escalade sans précédent, provoquant plusieurs milliers de morts et plus d'un million de déplacés dans un pays déjà en proie à la crise économique depuis 2019.