
Êtes-vous casse-pieds en vacances ?
Deux précisions s’imposent : cette série ne traite pas des tensions au sein de la famille. Pour une raison simple : les rôles y sont déjà assignés par la hiérarchie qui la structure. Les parents « gèrent » leurs enfants (ou du moins essaient de le faire), distribuent les tâches, conçoivent le programme des activités. Cet ordre des choses est intégré par tous les membres de la famille. Ces chroniques concernent un groupe d’amis ou de plusieurs familles, quand les uns et les autres doivent trouver leur place dans un milieu aux codes non définis. L’égalité étant un mythe et l’anarchie une illusion, la question du pouvoir se pose d’emblée pour régenter le quotidien, neutraliser les autres mammifères dans les grandes et les petites choses.
Seconde précision : cette série ne parle pas non plus de conflits nés de conceptions des vacances trop différentes. Si les divergences de vues et de rythme sont trop grandes, le risque de se fâcher avec ses amis qu'on croyait connaît connaître est énorme, par exemple si les uns préfèrent se lever tôt pour faire une randonnée quand les autres entendent buller dans la piscine après une grasse mat'. Cet écart dans la manière de vivre peut déboucher sur de terribles fractures ouvertes, des brouilles irréparables. Mais ce n'est pas le sujet de ces chroniques.
Dans « les casse-pieds de l’été », Guillemette Faure portraitise des individus dont les petites remarques trahissent un gros besoin d’exercer le pouvoir sur le groupe. Ce besoin est d'autant plus prégnant qu'il est inconscient. Celui-ci surgit au détour de scènes banales de la vie estivale. Ces verbatim mériteraient à peine d’être relevés si, mises ensemble, toutes ces répliques ne formaient les pièces d'un puzzle psychologique.
L’auteur sélectionne huit casse-pieds (dont le dernier daté de ce jour), si justes et si drôles, si drôles car si justes. La journaliste ne leur veut aucun mal et dit même qu’au boulot, au cœur de l’hiver, leur attitude peut avoir de bons côtés, alors qu’elle nous horripilait devant un coucher de soleil.
L’égocentrisme est le point commun de tous ces profils :
Deux touchent à la nourriture, lieu de pouvoir s'il en est : ce sont « la planificatrice en menu » et « les ascètes de l’assiette ». Deux tyrannies au nom du bien et du bien commun, forcément.
Deux malmènent le tempo : « les hyperdisciplinés » et « les retardataires ». Le premier se méfie des autres, leur fait la leçon et n'attend rien qui ne vienne de lui-même. Le second vit sans complexe sur le temps du groupe, souvent l'air de rien.
Un autre casse-pied est prodigue : ce sont « les flambeurs qui vous font dépenser plus » et « vous font passer pour un pingre » ;
Les trois suivants font « jaillir en nous de mesquines pensées, l’envie notamment ». Il s’agit du « vantard de la rupture conventionnelle », des « blasés des vacances », et des « superprofiteurs des vacances ». Le premier, avec son chèque, se demande s'il va rebosser un jour dans sa vie. Le deuxième a tout vu avant vous et mieux que vous et quand vous passerez après lui sur tous les Pompéi du monde, ce sera toujours moins bien. Le troisième regarde son compte en banque : il dit combien ses locations de vacances lui rapportent, tandis que les vôtres vous coûtent.
Dans tous les cas, il y a une bonne part de mauvaise éducation, à des degrés divers. Un casse-pieds ne se gêne pas pour l'autre et, sans même prendre sur soi, n'y prête pas attention. Or, on ne naît pas casse-pieds ; on le devient quand on s’autorise à l’être, et ça, c’est odieux.
Un autre point transparaît au fil de ces chroniques : le discours sert le plus souvent d’alibi, même inconsciemment. Une générosité affichée peut dissimuler une volonté de pouvoir. Ce n'est pas vrai qu'en vacances. Les ONG, les églises, les partis, les plateaux TV, les associations regorgent de gentils bénévoles qui se disent « au service », alors qu'ils veulent simplement exister, même (surtout ?) aux dépens d'autrui.
Il y a beaucoup de soleil cet été, trop peut-être, mais pour certains il n'y en aura jamais assez pour illuminer leur petite personne.
