L'éternel retour du « choc de simplification »
Le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a présenté le 24 avril un « plan d'action global de simplification » contre « l'inflation normative ». Ce thème réapparu opportunément à quelques semaines des élections européennes ne date pas d'hier : « Le sujet est ancien et récurrent, avec des rapports qui se succèdent depuis au moins les années 1990, avec un premier rapport du Conseil d'État en 1991, puis un autre en 2016 » relève Atlantico (25 avril). Ce dossier réapparaissant à point nommé depuis un quart de siècle ressemble à l'Arlésienne — la fiancée vainement attendue le jour de son mariage dans Les Lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet.
Pendant ce temps, la France n'est pas à la noce ! Elle reste écrasée par « plus de 400 000 normes, 23 000 pages, 18 000 formulaires, 313 commissions » qui paralysent et asphyxient le pays, constate l'Institut de Recherches Économiques et Fiscales (IREF) – un think tank libéral européen (24 mai). Son directeur, Nicolas Lecaussin, relève que le dossier de presse supposé présenter succinctement ce plan (en lien ci-dessous pour les lecteurs les plus courageux) fait… 68 pages, ce qui n'est pas de très bon augure. La présentation gouvernementale de ce document montre toute la complexité, paradoxalement, de cette simplification. Mais faut-il s'en étonner ? Demander à l'administration française de simplifier et de réduire des normes quand sa principale raison d'être est de les produire et de contrôler leur application semble un pari audacieux. Attendre de cette championne du monde des usines à gaz qu'elle présente un plan d'action simple et court paraît — comment dire ? — aussi utopique que d'espérer clarté et concision dans la prochaine intervention d'Emmanuel Macron, le président à « la pensée complexe » (cf. Le Monde du 29/06/2017 :« ... à l'Élysée […] l'on fait valoir que la "pensée complexe" du président se prête mal au jeu des questions-réponses avec des journalistes. ») C'est ce même président qui, cette année, entend imprimer sa marque en lançant un « choc de simplification » non sans prévenir, en même temps, que « c'est très compliqué de simplifier » (conférence de presse du 16/01/2024).
Mais revenons à notre imposant dossier de presse. On y apprend, résume l'IREF, que « quelque 400 000 normes, pas moins, s'appliquent en France : Code du travail, 11 176 articles, + 224 % depuis 2002 (600 articles en 1973) ; Code de commerce, 7 008 articles, + 365 % depuis 2002 ; Code de l'environnement, 6 898 articles, + 689 % depuis 2002 ; Code de la consommation, 2 105 articles, + 333 % depuis 2002. Les 8 principaux codes contiennent aujourd'hui plus de 23 000 pages contre 828 pages en 1833. » Cette montagne de codes et de règlements est précédée par une inflation de mots dans les textes légaux : « L'augmentation du nombre moyen de mots par loi depuis 2002 atteint 83 %, soit 400 000 mots en plus par an, soit plus de 33 000 chaque mois, un vrai roman. » Cette boulimie de lois, normes et règlements, élaborés et contrôlés par une fourmilière d'opérateurs de l'État, de commissions et d'instances (313 sous l'égide directe du gouvernement et de la Banque de France, en plus des opérateurs de l'État), coûte très cher au pays. De l'aveu du gouvernement, au moins 3 % du PIB y passent, soit 84 milliards d'euros.
Quant à la cohérence des impératifs actuels, en voici un exemple entre mille, rapporté par France Info (02/02/2024) : « À la demande du préfet lui-même, Éric Herbet, maire de Quincampoix (Seine-Maritime) avait remis le bâtiment de sa mairie aux normes, notamment pour le rendre plus accessible aux personnes handicapées. Mais un jour, "j'ai vu arriver la police de l'environnement qui m'a demandé d'arrêter mon chantier parce que je participais à la destruction d'espèces protégées", se rappelle-t-il. » Comme les maires, les paysans subissent à longueur d'année et de saison ces injonctions contradictoires. « Nos agriculteurs se révoltent surtout contre la chape des normes » soulignait Causeur en février dernier (02/02/2024). Ils font partie des 30 % des Français qui consacrent huit heures par semaine aux tâches administratives (et plus de 4 h pour 40 % d'entre eux.) Ce n'est pas Gabriel Attal qui va les apaiser. Il leur a fait la promesse d'un rapport annuel sur la souveraineté alimentaire pour « mieux reconnaître le métier d'agriculteur ». Quant aux entreprises, plus de la moitié d'entre elles disent avoir été contraintes de renoncer à des aides publiques auxquelles elles pouvaient prétendre, en raison de leur complexité.
Laissons la conclusion au directeur de l'IREF : « Ce que ne disent pas les auteurs du dossier (sur la simplification, NDR), c'est qu'ils en sont responsables [de l'inflation des normes] et qu'ils n'ont jamais cessé d'alourdir la machine bureaucratique française. Difficile de croire qu'ils pourraient changer car l'interventionnisme fait partie de leur ADN. » Étant entendu qu'il ne faut jamais s'interdire d'espérer...