Politique
Et si la France devenait une « société subsidiaire » ?
Si les mots servent les idées, ils peuvent aussi les desservir. C’est le cas de « subsidiarité » qu’on a autant de mal à dire qu’à entendre, avec ses cinq syllabes sèches et raides. Quant à définir ce beau principe, on le fait hélas souvent par la négative. La subsidiarité consiste ainsi à « ne pas faire remonter à l'échelon national ce qui peut être négocié à l'échelon local », selon Guillaume Goubert dans La Croix.
En plus, l’étymologie n'est pas valorisante, le latin subsidiarius désignant ce qui est « relatif aux subsides, qui forme la réserve ». Ce qui est « sub » (« sous ») sied mal à l'hubris politique plus prompt à regarder vers les honneurs du haut que vers les énergies du bas. Autre écueil et non des moindres : le mot fait technique, à l’image de la protection subsidiaire du droit d’asile ou du caractère subsidiaire des conventions fiscales. « Chanter » la subsidiarité ne crée pas d’effet magique dans les media, alors que louer la « solidarité », tout aussi long avec ses cinq syllabes, fait gagner dans les urnes. Bref, ce beau principe n’est ni lisible ni vendeur et, au bout du compte, la plupart de nos concitoyens l’ignorent, en dépit de l’ouvrage de Chantal Delsol, membre de l’Institut, auteur de l’État subsidiaire (Cerf, 2015).
Faut-il se résigner ? L’Institut Éthique et Politique (anciennement Institut Montalembert) dit non. Ce laboratoire d’idées inspiré par la doctrine sociale de l’Église vise à « faire de la culture subsidiaire une valeur partagée (…) afin de libérer et responsabiliser les acteurs locaux ». Il vient même de créer un fonds de dotation destiné à promouvoir « le bien commun », lequel « impose aux niveaux supérieurs de ne pas se substituer aux niveaux inférieurs, mais de les soutenir et de les développer ».
En 2020, en plein autoritarisme sanitaire, l’IEP lance « appel à une société subsidiaire » (article en référence) par la voix de son président Ludovic Trollé. Aujourd’hui, l’usage immodéré du 49.3 l’incite à persévérer. Car entre l’État et le marché, il y a la société civile, la mal-aimée du macronisme. Pour Trollé, on ne peut pas continuer avec un « État omnipotent » qui « tourne en rond, gouvernant par la crainte, sous la tutelle d’experts ».
Selon l’IEP, « la société subsidiaire est à la fois libératrice et protectrice. Elle suppose que l’État se centre sur ses missions régaliennes et que les corps intermédiaires de toute nature (familles, entreprises, associations, collectivités locales…) trouvent leur pleine liberté d’initiative et de responsabilité, avec l’aide (subsidium) et non le contrôle de l’administration ». Ici, le « sub » reprend tout son sens.
Pour répandre cette idée, l’Institut Éthique et Politique reçoit bientôt David Lisnard, maire de Cannes et président de l’Association des Maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). La soirée aura lieu le 9 mai, journée de l’Europe dont la subsidiarité est un principe clé des traités, du moins théoriquement, l’Allemagne fédérale l’ayant voulu ainsi.
L’enjeu n’est rien moins que de restaurer la confiance dans une société minée par l’individualisme et la désintermédiation. Ludovic Trollé est persuadé que seule la subsidiarité peut donner à « chaque citoyen autorité sur les décisions qu’il est en mesure de prendre dans tous ses cadres de vie, y compris les "territoires" qu’il faudrait commencer par définir comme des communautés ».
Les obstacles à la subsidiarité sont nombreux, ce qui rend la tâche de l’IEP exaltante. La France est monarchiste ; tout part de Paris et y revient, à l'image de l'Étoile de Legrand. Depuis la Révolution, l’État remplace le père, à la fois roi et dieu. C'est une catégorie mentale. Rousseau l'invite à guillotiner tout ce qui brave son autorité. La nation résulte d’une œuvre unificatrice violente. Notre subconscient dit que si Paris recule, l'unité sera menacée, aussi bien à Saint-Denis qu'à Rennes ou Bastia. Aujourd'hui, on s'inquiète moins de la puissance de l'État que de sa faiblesse. C'est aussi une leçon du Covid que l'allégeance à la parole de l'État.
Promouvoir la subsidiarité dans ce contexte est un défi, d'autant que les réseaux sociaux, la mobilité extrême, la fin du village, les prix de l'immobilier dans les zones tendues enterrent la vision fixiste et idéaliste de la communauté localement vivace et unie, laquelle tient plus du mythe que de la réalité. L'argent est le vrai facteur segmentant, qui rassemble et sépare. L'âge rime aussi avec clivage.
Se pose également la question de la viabilité de territoires sinistrés du désert français, où la subsidiarité pourra être vécue comme le prétexte à un abandon. Il faut la densité des cantons suisses pour que le local s'affirme avec constance et vigueur.
Enfin, le niveau des élus entre en ligne de compte. Une initiative qui vient d'en bas n'est pas toujours la meilleure, par exemple quand l'inspiration des maires se limite aux ronds-points et autres dos d'âne. Dans ce registre des affres urbanistiques, on admettra que le Paris d'Anne Hidalgo les rejoint plutôt.
En plus, l’étymologie n'est pas valorisante, le latin subsidiarius désignant ce qui est « relatif aux subsides, qui forme la réserve ». Ce qui est « sub » (« sous ») sied mal à l'hubris politique plus prompt à regarder vers les honneurs du haut que vers les énergies du bas. Autre écueil et non des moindres : le mot fait technique, à l’image de la protection subsidiaire du droit d’asile ou du caractère subsidiaire des conventions fiscales. « Chanter » la subsidiarité ne crée pas d’effet magique dans les media, alors que louer la « solidarité », tout aussi long avec ses cinq syllabes, fait gagner dans les urnes. Bref, ce beau principe n’est ni lisible ni vendeur et, au bout du compte, la plupart de nos concitoyens l’ignorent, en dépit de l’ouvrage de Chantal Delsol, membre de l’Institut, auteur de l’État subsidiaire (Cerf, 2015).
Faut-il se résigner ? L’Institut Éthique et Politique (anciennement Institut Montalembert) dit non. Ce laboratoire d’idées inspiré par la doctrine sociale de l’Église vise à « faire de la culture subsidiaire une valeur partagée (…) afin de libérer et responsabiliser les acteurs locaux ». Il vient même de créer un fonds de dotation destiné à promouvoir « le bien commun », lequel « impose aux niveaux supérieurs de ne pas se substituer aux niveaux inférieurs, mais de les soutenir et de les développer ».
En 2020, en plein autoritarisme sanitaire, l’IEP lance « appel à une société subsidiaire » (article en référence) par la voix de son président Ludovic Trollé. Aujourd’hui, l’usage immodéré du 49.3 l’incite à persévérer. Car entre l’État et le marché, il y a la société civile, la mal-aimée du macronisme. Pour Trollé, on ne peut pas continuer avec un « État omnipotent » qui « tourne en rond, gouvernant par la crainte, sous la tutelle d’experts ».
Selon l’IEP, « la société subsidiaire est à la fois libératrice et protectrice. Elle suppose que l’État se centre sur ses missions régaliennes et que les corps intermédiaires de toute nature (familles, entreprises, associations, collectivités locales…) trouvent leur pleine liberté d’initiative et de responsabilité, avec l’aide (subsidium) et non le contrôle de l’administration ». Ici, le « sub » reprend tout son sens.
Pour répandre cette idée, l’Institut Éthique et Politique reçoit bientôt David Lisnard, maire de Cannes et président de l’Association des Maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). La soirée aura lieu le 9 mai, journée de l’Europe dont la subsidiarité est un principe clé des traités, du moins théoriquement, l’Allemagne fédérale l’ayant voulu ainsi.
L’enjeu n’est rien moins que de restaurer la confiance dans une société minée par l’individualisme et la désintermédiation. Ludovic Trollé est persuadé que seule la subsidiarité peut donner à « chaque citoyen autorité sur les décisions qu’il est en mesure de prendre dans tous ses cadres de vie, y compris les "territoires" qu’il faudrait commencer par définir comme des communautés ».
Les obstacles à la subsidiarité sont nombreux, ce qui rend la tâche de l’IEP exaltante. La France est monarchiste ; tout part de Paris et y revient, à l'image de l'Étoile de Legrand. Depuis la Révolution, l’État remplace le père, à la fois roi et dieu. C'est une catégorie mentale. Rousseau l'invite à guillotiner tout ce qui brave son autorité. La nation résulte d’une œuvre unificatrice violente. Notre subconscient dit que si Paris recule, l'unité sera menacée, aussi bien à Saint-Denis qu'à Rennes ou Bastia. Aujourd'hui, on s'inquiète moins de la puissance de l'État que de sa faiblesse. C'est aussi une leçon du Covid que l'allégeance à la parole de l'État.
Promouvoir la subsidiarité dans ce contexte est un défi, d'autant que les réseaux sociaux, la mobilité extrême, la fin du village, les prix de l'immobilier dans les zones tendues enterrent la vision fixiste et idéaliste de la communauté localement vivace et unie, laquelle tient plus du mythe que de la réalité. L'argent est le vrai facteur segmentant, qui rassemble et sépare. L'âge rime aussi avec clivage.
Se pose également la question de la viabilité de territoires sinistrés du désert français, où la subsidiarité pourra être vécue comme le prétexte à un abandon. Il faut la densité des cantons suisses pour que le local s'affirme avec constance et vigueur.
Enfin, le niveau des élus entre en ligne de compte. Une initiative qui vient d'en bas n'est pas toujours la meilleure, par exemple quand l'inspiration des maires se limite aux ronds-points et autres dos d'âne. Dans ce registre des affres urbanistiques, on admettra que le Paris d'Anne Hidalgo les rejoint plutôt.