International
Et la reine nous quitta
Avant que l’hymne britannique retentît, le lord-chambellan brisa son bâton puis le plaça sur le cercueil, lentement descendu dans le caveau de la chapelle Saint-Georges du château de Windsor. Ce geste symbolique signifiait la fin du règne d’Elizabeth II d’Angleterre, après 70 ans, sept mois et deux jours sur le trône. La reine disparut alors à jamais des yeux du monde pour reposer au côté de son époux, le prince Philip, elle qui, si souriante et si calme, avait rempli jusqu’au bout ses fonctions de chef d'État avec un constant sens du devoir, ses tenues flashy, ses 5000 chapeaux et un humour pince-sans-rire jugé irrésistible.
Le plus âgé des dirigeants en exercice avait traversé la Seconde Guerre mondiale, vu la fin de l'Empire, l'entrée puis la sortie de l'Union européenne. Depuis sa mort le 8 septembre dans sa résidence de Balmoral, le souverain avait entrepris le dernier voyage de son protocole terrestre, dans un corbillard à travers la campagne écossaise, un avion de la Royal Air Force, ou lors de cortèges funèbres sur des airs tristes et lents joués par des fanfares, tiré par des chevaux ou des marins.
Des centaines de milliers de personnes, anonymes ou célèbres comme le footballeur David Beckham, patientèrent parfois toute la nuit pour se recueillir devant la dépouille royale. Londres devint une capitale mondiale quand, à l’exception d’une minorité de pays parias dont la Russie, les dignitaires venus de partout s’unirent autour du personnage le plus connu avec le pape et Ronaldo.
Le déploiement d’une symbolique majestueuse sidéra l’opinion autant qu’elle la séduisit. Rien qu’en France, 7,5 millions de téléspectateurs suivirent la cérémonie lundi entre midi et 13h00. Outre-Manche, ce moment de communion fit chuter la consommation d'électricité jusqu'à 2 gigawatts, l'équivalent de deux réacteurs nucléaires.
Ces 12 jours de deuil national avaient mis la vie entre parenthèses, comme si la mort du monarque de 96 ans refermait un chapitre de l'Histoire mondiale dominé par l’Occident. Qui après Elizabeth II méritera un tel hommage ? Le Royaume-Uni lui survivra-t-il ? Les velléités indépendantistes en Écosse, les frictions communautaires en Irlande du Nord, l’inflation et la crise sociale, la très forte immigration asiatique, tout cela peut ruiner la monarchie. Ou la rendre indispensable puisqu’aucune autre institution, quand tout sépare les hommes, ne peut unir les cœurs.
Retenons trois manières d’interpréter l’engouement planétaire pour la reine d’Angleterre :
La première, dans l'œil médiatique, ramène l’événement à une arme de distraction massive. Un storytelling fait de belles images millimétrées satura l’espace selon une dramaturgie calquée sur la Netflixisation des mentalités. On rejoua la série The Crown. Après la mort de Diana, « Queen Mum » avait compris que le salut de la monarchie passerait par sa pipolisation, que l’institution héritière d’une gloire révolue et d’un passé colonial très dur devait se laisser féconder par le dard de la TV, basculer dans le monde iconique du prestige et de la prestance. Déjà Kate Middleton aimante tous les écrans. Qu’il s’agisse des funérailles d’Elizabeth II ou de la finale de la Coupe du monde de football, l'industrie de l'information cherche juste à tirer de l'audience d'un spectacle sans enjeu. On vit même L’Obs ou Libé faire l'éloge d'une monarchie que pourtant leur ligne est censée moquer voire honnir.
La seconde manière de voir les choses insiste sur le sens symbolique que recelait l’événement en soi, au-delà du spectacle dont il s’entourait pour se manifester au yeux de tous. De quoi la reine était-elle le nom, elle qui ne partageait jamais une opinion publiquement ? Dans la société liquide, son attitude s'abreuvait à deux principes solides : l'unité et la continuité. Une vraie « roc-star ».
Un autre regard, plus politique, consiste à souligner le génie des Anglais, comme le fait Chantal Delsol : « Ils ont réussi ce prodige de créer la démocratie la plus accomplie au monde, sans la défaire des attributs monarchiques dont un peuple a besoin », écrit la philosophe dans Le Figaro. Nos meilleurs ennemis nous donnent ainsi une leçon de pragmatisme et d'humanité. Cet amour de la reine dérange le sans-culotte gisant au fond de notre âme révoltée, blesse ou intrigue « beaucoup de Français [qui] n’imaginent pas qu’on puisse naître avec des charges autant qu’avec des dons », ajoute-t-elle.
Car Elizabeth II était écrasée de charges héritées. L'en voilà enfin libérée.
Le plus âgé des dirigeants en exercice avait traversé la Seconde Guerre mondiale, vu la fin de l'Empire, l'entrée puis la sortie de l'Union européenne. Depuis sa mort le 8 septembre dans sa résidence de Balmoral, le souverain avait entrepris le dernier voyage de son protocole terrestre, dans un corbillard à travers la campagne écossaise, un avion de la Royal Air Force, ou lors de cortèges funèbres sur des airs tristes et lents joués par des fanfares, tiré par des chevaux ou des marins.
Des centaines de milliers de personnes, anonymes ou célèbres comme le footballeur David Beckham, patientèrent parfois toute la nuit pour se recueillir devant la dépouille royale. Londres devint une capitale mondiale quand, à l’exception d’une minorité de pays parias dont la Russie, les dignitaires venus de partout s’unirent autour du personnage le plus connu avec le pape et Ronaldo.
Le déploiement d’une symbolique majestueuse sidéra l’opinion autant qu’elle la séduisit. Rien qu’en France, 7,5 millions de téléspectateurs suivirent la cérémonie lundi entre midi et 13h00. Outre-Manche, ce moment de communion fit chuter la consommation d'électricité jusqu'à 2 gigawatts, l'équivalent de deux réacteurs nucléaires.
Ces 12 jours de deuil national avaient mis la vie entre parenthèses, comme si la mort du monarque de 96 ans refermait un chapitre de l'Histoire mondiale dominé par l’Occident. Qui après Elizabeth II méritera un tel hommage ? Le Royaume-Uni lui survivra-t-il ? Les velléités indépendantistes en Écosse, les frictions communautaires en Irlande du Nord, l’inflation et la crise sociale, la très forte immigration asiatique, tout cela peut ruiner la monarchie. Ou la rendre indispensable puisqu’aucune autre institution, quand tout sépare les hommes, ne peut unir les cœurs.
Retenons trois manières d’interpréter l’engouement planétaire pour la reine d’Angleterre :
La première, dans l'œil médiatique, ramène l’événement à une arme de distraction massive. Un storytelling fait de belles images millimétrées satura l’espace selon une dramaturgie calquée sur la Netflixisation des mentalités. On rejoua la série The Crown. Après la mort de Diana, « Queen Mum » avait compris que le salut de la monarchie passerait par sa pipolisation, que l’institution héritière d’une gloire révolue et d’un passé colonial très dur devait se laisser féconder par le dard de la TV, basculer dans le monde iconique du prestige et de la prestance. Déjà Kate Middleton aimante tous les écrans. Qu’il s’agisse des funérailles d’Elizabeth II ou de la finale de la Coupe du monde de football, l'industrie de l'information cherche juste à tirer de l'audience d'un spectacle sans enjeu. On vit même L’Obs ou Libé faire l'éloge d'une monarchie que pourtant leur ligne est censée moquer voire honnir.
La seconde manière de voir les choses insiste sur le sens symbolique que recelait l’événement en soi, au-delà du spectacle dont il s’entourait pour se manifester au yeux de tous. De quoi la reine était-elle le nom, elle qui ne partageait jamais une opinion publiquement ? Dans la société liquide, son attitude s'abreuvait à deux principes solides : l'unité et la continuité. Une vraie « roc-star ».
Un autre regard, plus politique, consiste à souligner le génie des Anglais, comme le fait Chantal Delsol : « Ils ont réussi ce prodige de créer la démocratie la plus accomplie au monde, sans la défaire des attributs monarchiques dont un peuple a besoin », écrit la philosophe dans Le Figaro. Nos meilleurs ennemis nous donnent ainsi une leçon de pragmatisme et d'humanité. Cet amour de la reine dérange le sans-culotte gisant au fond de notre âme révoltée, blesse ou intrigue « beaucoup de Français [qui] n’imaginent pas qu’on puisse naître avec des charges autant qu’avec des dons », ajoute-t-elle.
Car Elizabeth II était écrasée de charges héritées. L'en voilà enfin libérée.