L'entropie : une notion essentielle qui gagnerait à être mieux connue
Ce principe nous donne une vue bien pessimiste de l'Univers. Comme l'a très bien exprimé Hubert Reeves, le cosmos est né lors du Big Bang dans un état très peu entropique (très improbable donc). Inexorablement, il se dirige vers une fin, heureusement très lointaine, où il terminera dans l'état le plus dégradé qui soit (le plus probable) : celui de trous noirs.
On peut admettre tout cela, mais alors comment expliquer la montée vers la complexité ? Depuis un état très simple, un gaz d'hydrogène et d'hélium produit par le Big Bang, le cosmos élabore des étoiles, des galaxies, des planètes et — au moins sur l'une d'entre elles — la vie. Alors, l'Univers se dégrade-t-il ou bien s'organise-t-il ?
« Les deux mon capitaine » a répondu dans les années 1960 et 70 le savant belge Ilya Prigogine qui a reçu le prix Nobel pour ses études sur les systèmes éloignés de l'équilibre. Ce sont des cas très généraux, incluant à peu près tout ce que nous voyons autour de nous. Une étoile se trouve en déséquilibre en transformant de l'énergie nucléaire en une énergie plus entropique : le rayonnement UV. La Terre absorbe ces rayons UV, pour réémettre des rayons infrarouges plus entropiques. Un être humain transforme les aliments qu'il absorbe et l'oxygène qu'il respire en des formes plus dégradées dont 100 watts de chaleur. Prigogine a bien montré que ces systèmes en déséquilibre étaient capables de « remonter la pente » de l'entropie, c'est-à-dire d'organiser la matière plutôt que la dégrader.
On appelle cela l'auto-organisation. L'étoile s'organise comme un fourneau dans lequel se créent et mijotent les éléments, la Terre crée une biosphère d'une complexité inouïe, l'être humain construit des cathédrales, etc. Alors, comment concilier l'auto-organisation avec la tendance entropique vers la dégradation universelle ? Le savant a élucidé ce paradoxe en montrant que si un tel système en déséquilibre se heurtait à des contraintes particulières, il pouvait localement réduire l'entropie (organiser la matière) à la condition que globalement, il fasse croître l'entropie de l'Univers. Par exemple, une cathédrale faiblement entropique est construite par l'homme au prix d'une forte production d'entropie : la sueur et la chaleur dégagées par des centaines d'ouvriers pendant des dizaines d'années.
La vie en est certainement l'exemple le plus extrême : l'organisation d'un être vivant aussi sophistiqué que l'homme, avec son métabolisme de 5 000 réactions chimiques et son cerveau de 80 milliards de neurones, n'est-elle pas ce que nous pouvons considérer de moins entropique dans l'Univers ? Prigogine souligne que pour parvenir au degré d'organisation d'un être humain, il a fallu toute l'entropie produite sous forme de chaleur par sa mère pendant neuf mois de gestation, puis par lui-même, d'abord enfant jouant sans relâche toute la journée, puis adulte travaillant, se déplaçant, faisant du sport, etc. Ainsi, nous émettons dans l'environnement une énorme entropie pour compenser les états très organisés de nos corps et de nos productions.