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Entre la Russie et l'Ukraine, une course contre la montre entre deux offensives parallèles

Par Peter Bannister - Publié le 31/08/2024 - Image : Kryvyi Rih en Ukraine suite aux frappes aériennes du 26 août. Crédit photo : DNIPROPETROVSK MILITARY ADMINISTRATION / Anadolu via AFP
L'Ukraine a récemment envahi un petit territoire russe, marquant un tournant inattendu dans la guerre. La Russie, concentrée sur le Donbass, n'a pas réagi militairement, préférant intensifier les bombardements sur l'Ukraine. Cette situation qui peut fragiliser Poutine, provoque certaines critiques internes en Russie, suscite des questions et crée de nouvelles incertitudes.

Au cours des dernières semaines, la guerre entre l'Ukraine et la Russie a pris une tournure inattendue qui a suscité de nombreux débats parmi les analystes militaires. Le territoire russe a été envahi pour la première fois depuis 1945, les Ukrainiens sous le général Syrsky ayant percé d'abord dans la région hautement symbolique de Koursk (lieu de la plus grande bataille de chars de la Seconde Guerre mondiale), puis attaqué Belgorod. De l'autre côté, les Russes progressent au Donbass et ont soumis l'Ukraine à des bombardements aériens parmi les plus intenses depuis le début de la guerre. Il en résulte une situation paradoxale et difficile à interpréter, mais certainement beaucoup plus dynamique que l'impasse d'avant l'été. L'offensive de Koursk soulève plusieurs questions importantes : quelle est l'intention ukrainienne derrière la saisie (temporaire) du territoire russe ? Quel a été l'impact de l'utilisation d'armes occidentales par les forces ukrainiennes ? Pourquoi la Russie n'a-t-elle pas encore réagi vigoureusement dans la région ? Quel a été l'impact sur le Kremlin et sur l'opinion publique russe ?

Plusieurs objectifs possibles ont été cités en ce qui concerne l'incursion à Koursk. Sur le plan tactique, Volodymr Zelensky a dit vouloir créer une « zone tampon  » pour empêcher que les régions frontalières russes ne soient utilisées pour attaquer l'Ukraine. Il s'agit aussi d'établir un deuxième front afin de forcer la Russie à redéployer les forces engagées dans leur propre offensive dans le sud-est. Ce redéploiement n'a pas encore eu lieu, mais on peut se demander combien de temps Moscou tolérera l'occupation de son propre terrain. Sur le plan diplomatique, l'objectif principal de l'opération serait de donner à l'Ukraine un levier en vue d'éventuelles négociations de paix, dont un deuxième sommet international, prévu par Kiev avec la participation souhaitée des Russes (Zelensky a proposé à Narendra Modi d'accueillir ce sommet en Inde lors de sa récente visite en Ukraine).

Certains ont été surpris de voir que l'Ukraine a utilisé du matériel occidental dans le cadre des opérations à Koursk, franchissant ce que l'on considérait auparavant comme une ligne rouge vis-à-vis de Moscou. On a vu l'absence de commentaires du Kremlin à ce sujet comme la preuve qu'une grande partie de la rhétorique russe sur le danger pour l'Occident de permettre l'utilisation de ses armes stratégiques était en fait du bluff. Du côté de Kiev, on peut dire que l'un des principaux objectifs de l'invasion était de persuader ses alliés que la victoire serait à la portée de l'Ukraine avec un équipement adéquat qu'ils ne devraient plus hésiter à fournir.

Plusieurs hypothèses semblent possibles pour expliquer l'apparente non-réponse russe à l'incursion à Koursk. Malgré le coup porté au moral par l'invasion ukrainienne, Moscou pourrait considérer que la région n'est pas assez importante sur le plan militaire pour détraquer sa propre offensive au Donbass - un avis partagé par beaucoup d'analystes. Pour l'instant, le Kremlin semble préférer minimiser l'importance de l'avancée ukrainienne en territoire russe, se contentant d'intensifier ses bombardements sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes en vue de l'hiver à venir. Pour certains commentateurs, cependant, l'absence de réponse militaire décisive à Koursk révèle de graves difficultés pour Poutine, surtout au niveau des effectifs ; la loi russe permet d'enrôler des conscrits pour le combat dans les régions concernées, mais toute mobilisation supplémentaire serait probablement très impopulaire.

Quant à l'impact interne de ces développements en Russie, il est difficile à évaluer dans un pays où les sondages d'opinion sont évidemment sujet à caution. Selon une analyse de données menée par le groupe ukrainien OpenMinds, l'incursion de Koursk semble néanmoins avoir ébranlé la confiance du public russe dans la guerre. Les discussions sur des plateformes telles que VKontakte ont été marquées par beaucoup de propos fustigeant l'incompétence du commandement militaire et l'incapacité de l'État russe à défendre son propre territoire. L'offensive ukrainienne a également provoqué quelques expressions directes de dissidence envers le Kremlin, comme celle de Georgy Zakrevsky, leader de la milice Paladin. Dans une vidéo diffusée sur Telegram, il a accusé Poutine d'être personnellement responsable des échecs militaires, appelant à un coup d'État contre le président. Cet appel à la mutinerie n'a certes pas le poids de celle d'Evgueni Prighozine avant sa tentative de putsch ratée en juin 2023. Néanmoins, l'historien Alexander Motyl (Rutgers University) soutient que Zakrevsky « présage le chaos parmi les élites dirigeantes de la Russie » (cf. l' « entropie sociale » dont nous avons parlé plus tôt cette année), évoquant le spectre de désertions similaires à celles de 1916 et 1917... qui ont conduit à la chute du tsar Nicolas II et à la prise de pouvoir par les bolcheviks. Un scénario analogue ne semble pas impossible aujourd'hui : si le Kremlin semble tout miser sur une victoire dans le Donbass, c'est une course contre la montre.

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