Économie
Emmanuel Faber, ex-patron de Danone, ou la chute d'un premier de cordée
Jeudi 1er avril, Danone eut la bonne idée d’annoncer à ses salariés que 1850 postes seraient supprimés dans le monde dont 458 en France. De poisson il n’y avait pas, excepté les arêtes ! Voici un mois, le géant du lait faisait déjà un milkshake de son PDG, le sémillant Emmanuel Faber. Pourtant, l’homme avait donné des gages à ses financiers. En novembre, son plan de restructuration baptisé « Local First » prévoyait d’écrémer « jusqu’à 2000 postes ». Pour être franc, ses actionnaires le laissaient atteler les charrettes avant de lui en promettre une. Car, selon la CGT, le projet imaginé par Faber « arrange bien » le nouveau président du conseil d'administration Gilles Schnepp qui « veut augmenter la rentabilité pour mieux rémunérer les actionnaires ». À l’arrivée, ce sont en fait « plus de 1100 emplois [qui] vont être supprimés en France » parmi les employés administratifs, cadres et directeurs, car « un peu plus de 600 » postes seront aussi créés.
Au-delà de ce dégraissage, Danone fait face à une crise plus profonde. Comme l’explique cette excellente enquête de Capital, « l’enchaînement des plans de transformation aurait cassé l’âme entrepreneuriale [de ce] groupe » fondé sur trois grands métiers aux cultures très fortes : les produits laitiers et d'origine végétale, la nutrition spécialisée, et les eaux. Jusqu’en novembre dernier, le géant agroalimentaire ne jurait que par la centralisation de ses activités. Et voilà que le plan « Local First » le fait virer de bord. Maintenant, Danone se met en tête de donner plus d'autonomie aux pays dans lesquels opèrent ses 100 000 salariés, quitte à mettre en péril son ADN en remplaçant les trois métiers par six zones géographiques. Allez comprendre ; on verra si cette stratégie porte ses fruits dans les yaourts.
Intéressons-nous plutôt au cas Faber. Pourquoi l’avoir évincé ?
Puisqu’on parlait de poisson, on peut dire qu’il se fit avaler par des requins, en l’espèce deux fonds spéculatifs anglo-saxons (Artisan Partners à Londres et Bluebell à New York). Ceux-ci s’adjugèrent 3% du capital et s’employèrent illico à vouloir le fumer. « M. Faber est remis en cause pour apporter plus de bénéfices à deux actionnaires qui arrivent et révolutionnent l’entreprise », s’émurent en vain FO, la CGC et la CFDT. Puisque c’est Pâques, écoutons deux sons de cloche : l’un lui est favorable, l’autre beaucoup moins.
Commençons par les reproches. On sait Faber passionné de montagne et, apparemment, sous les glaces scintillantes couleur yaourt, il y a une face nord, raide, froide, peu engageante. Comme l’écrit Capital, il « a fait fuir les cadres dirigeants ». Le premier de cordée se retrouva seul. Heureusement qu’il n’était pas le Christ, car Faber fut lâché par les 12 membres de son comex (comité exécutif). Depuis 2014, il n’en reste plus qu’un, le DRH, autant dire le Judas de l’emploi. En bon alpiniste, Faber distingue les cols : en bleu, ça passe, ce qui lui vaut la mansuétude syndicale ; en blanc, ça casse. Mais à la fin, c’est lui qui dévisse.
Comment le faire chuter ? Le coup serait venu de Franck Riboud lui-même – qui dirigea Danone durant 18 ans avant de lui passer la main en 2014. Depuis des années, la figure tutélaire n’était plus consultée et elle en prenait ombrage. Capital l’écrit : « Franck Riboud aurait soutenu son ami Francesco Trapani, patron du fonds d’investissement Bluebell, dans son projet d’écarter l’encombrant Faber. » De fait, sitôt dans la place, les vautours ne furent pas longs à survoler son siège capitonné.
Passons à l’autre version, favorable au patron déchu. Emmanuel Faber se faisait le pionnier d’un capitalisme plus vert et plus social et pour cette raison-là, les bouchers de la spéculation l’auraient trucidé. C’est vrai que, suivant sa foi catholique, l’homme voulait libérer l’économie d’un court-termisme prédateur pour la main d’œuvre et assassin pour la nature. Il parlait de « déboulonner la statue de Milton Friedman », parrain du néolibéralisme. Pour donner l’exemple, Faber avait même renoncé à sa retraite-chapeau, ce qui passait pour une faute de goût dans les bureaux feutrés en haut des tours. Ses choix, sa communication irritaient ses alter égaux qui savent ce que l'égo veut dire. Petite précision : Faber n’est pas le premier patron du CAC à s'alléger pour monter au Ciel. Pierre Bilger, l’ex-PDG d’Alstom mort en 2011 et chrétien fervent, avait renoncé à son indemnité de départ de plus de 4 M€.
La morale de l’histoire, c’est un autre prophète qui nous la donne, Gunter Pauli, sorte de pèlerin planétaire au service de l’« économie bleue ». Pour lui, le changement de modèle promu par Emmanuel Faber était voué à l’échec. « Les fonds d’investissement [ayant] rarement d’autres considérations que le fric, la transition ne vient pas des entreprises cotées en Bourse. On a besoin, ajoute-t-il, de donner confiance aux entreprises contrôlées par des familles, qui ont des engagements sur plusieurs générations. »
Le lait, il est vrai, ça tourne vite.
Au-delà de ce dégraissage, Danone fait face à une crise plus profonde. Comme l’explique cette excellente enquête de Capital, « l’enchaînement des plans de transformation aurait cassé l’âme entrepreneuriale [de ce] groupe » fondé sur trois grands métiers aux cultures très fortes : les produits laitiers et d'origine végétale, la nutrition spécialisée, et les eaux. Jusqu’en novembre dernier, le géant agroalimentaire ne jurait que par la centralisation de ses activités. Et voilà que le plan « Local First » le fait virer de bord. Maintenant, Danone se met en tête de donner plus d'autonomie aux pays dans lesquels opèrent ses 100 000 salariés, quitte à mettre en péril son ADN en remplaçant les trois métiers par six zones géographiques. Allez comprendre ; on verra si cette stratégie porte ses fruits dans les yaourts.
Intéressons-nous plutôt au cas Faber. Pourquoi l’avoir évincé ?
Puisqu’on parlait de poisson, on peut dire qu’il se fit avaler par des requins, en l’espèce deux fonds spéculatifs anglo-saxons (Artisan Partners à Londres et Bluebell à New York). Ceux-ci s’adjugèrent 3% du capital et s’employèrent illico à vouloir le fumer. « M. Faber est remis en cause pour apporter plus de bénéfices à deux actionnaires qui arrivent et révolutionnent l’entreprise », s’émurent en vain FO, la CGC et la CFDT. Puisque c’est Pâques, écoutons deux sons de cloche : l’un lui est favorable, l’autre beaucoup moins.
Commençons par les reproches. On sait Faber passionné de montagne et, apparemment, sous les glaces scintillantes couleur yaourt, il y a une face nord, raide, froide, peu engageante. Comme l’écrit Capital, il « a fait fuir les cadres dirigeants ». Le premier de cordée se retrouva seul. Heureusement qu’il n’était pas le Christ, car Faber fut lâché par les 12 membres de son comex (comité exécutif). Depuis 2014, il n’en reste plus qu’un, le DRH, autant dire le Judas de l’emploi. En bon alpiniste, Faber distingue les cols : en bleu, ça passe, ce qui lui vaut la mansuétude syndicale ; en blanc, ça casse. Mais à la fin, c’est lui qui dévisse.
Comment le faire chuter ? Le coup serait venu de Franck Riboud lui-même – qui dirigea Danone durant 18 ans avant de lui passer la main en 2014. Depuis des années, la figure tutélaire n’était plus consultée et elle en prenait ombrage. Capital l’écrit : « Franck Riboud aurait soutenu son ami Francesco Trapani, patron du fonds d’investissement Bluebell, dans son projet d’écarter l’encombrant Faber. » De fait, sitôt dans la place, les vautours ne furent pas longs à survoler son siège capitonné.
Passons à l’autre version, favorable au patron déchu. Emmanuel Faber se faisait le pionnier d’un capitalisme plus vert et plus social et pour cette raison-là, les bouchers de la spéculation l’auraient trucidé. C’est vrai que, suivant sa foi catholique, l’homme voulait libérer l’économie d’un court-termisme prédateur pour la main d’œuvre et assassin pour la nature. Il parlait de « déboulonner la statue de Milton Friedman », parrain du néolibéralisme. Pour donner l’exemple, Faber avait même renoncé à sa retraite-chapeau, ce qui passait pour une faute de goût dans les bureaux feutrés en haut des tours. Ses choix, sa communication irritaient ses alter égaux qui savent ce que l'égo veut dire. Petite précision : Faber n’est pas le premier patron du CAC à s'alléger pour monter au Ciel. Pierre Bilger, l’ex-PDG d’Alstom mort en 2011 et chrétien fervent, avait renoncé à son indemnité de départ de plus de 4 M€.
La morale de l’histoire, c’est un autre prophète qui nous la donne, Gunter Pauli, sorte de pèlerin planétaire au service de l’« économie bleue ». Pour lui, le changement de modèle promu par Emmanuel Faber était voué à l’échec. « Les fonds d’investissement [ayant] rarement d’autres considérations que le fric, la transition ne vient pas des entreprises cotées en Bourse. On a besoin, ajoute-t-il, de donner confiance aux entreprises contrôlées par des familles, qui ont des engagements sur plusieurs générations. »
Le lait, il est vrai, ça tourne vite.