Edward Snowden et notre espace privé au prisme de la NSA
« L'enjeu n'est pas le terrorisme, le terrorisme c'est le prétexte, l'enjeu, c'est la domination économique et le contrôle social ». Tels sont les mots de Joseph Gordon-Levitt qui incarne Edward Snowden dans le film Snowden sorti en 2016. Ils entendent donner la raison réelle de la surveillance de masse organisée par les États-Unis dans le monde entier, dénoncée par Edward Snowden en 2013.
La question du respect de la vie privée s'est toujours posée dans nos sociétés modernes. Benjamin Constant, dans De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, explique que deux libertés s'opposent, auxquelles correspondent deux systèmes de gouvernement : la liberté des Anciens, celle des cités grecques, qui était une liberté collective, permettant de prendre toutes les décisions ensemble ; et la liberté des Modernes, c'est-à-dire la liberté individuelle, qui postule que plus les individus peuvent décider pour eux-mêmes, seuls, plus ils sont libres. « C'est la liberté de notre temps » dit-il en 1819. Entre les deux, s'est développé ce que nous appelons aujourd'hui « l'espace privé ». Un espace qui n'est qu'à moi, que je ne dévoile à l'autre que si je le veux, sans contrainte. Depuis que Constant a écrit ce texte, la démocratie libérale s'est développé sur ces deux principes : la participation de tous au débat qui doit être collectif et public, en préservant un espace intouchable, celui de notre espace privé.
Le problème est que les programmes de surveillance de masse peuvent violer notre espace privé et donc notre liberté. C'est à partir de cette idée qui lui est apparue comme intolérable qu'Edward Snowden s'est décidé à révéler l'importance phénoménale des systèmes développés par les Américains pour contrôler - ou protéger, selon le point de vue - les populations. Et la Chine confirme aujourd'hui cette réalité avec l'affaire Phonandroid (notre sélection). Au début de sa carrière, Snowden était juste un homme persuadé du caractère moral des agissements de l'État américain. En 2004, il a même tenté d'intégrer l'armée pour aller servir en Irak. Un accident - a posteriori bienvenu - l'en empêchera. Entre 2007 et 2009 ensuite, il travaille pour la CIA, et développe ses talents de hacker, avant d'entrer à la NSA comme consultant. Mais ce qu'il a touché du doigt à la CIA fini par le révolter et il devient progressivement un défenseur de plus en plus engagé de l'espace privé sur Internet jusqu'à décider en 2013, de dévoiler au monde entier l'ampleur des programmes de surveillance de masse par les États-Unis. À partir de ses accès professionnels, il transfère dans l'espace public un nombre colossal de documents secrets. Plus d'un million sont envoyés au Guardian et au Washington Post selon certaines sources ! Le gouvernement du Royaume-Uni est également touché, certaines de ces révélations impliquant le centre de contrôle des télécommunications anglaises (GCHQ). Et peu de temps après les premières révélations, début juin 2013, Edward Snowden s'enfuit et révèle son identité.
S'ensuit alors une double bataille : celle des idées et celle de son extradition. En surface, en tout cas, Snowden semble avoir gagné les deux : après quelques péripéties, il a fini par recevoir le droit d'asile en Russie, prolongé jusqu'en 2022, année de sa naturalisation russe définitive, qui rend désormais très difficile son extradition aux USA. Concernant la bataille des idées, Snowden a affirmé que son seul objectif était « de rendre possible le débat » et il semble avoir réussi à l'échelle mondiale. D'importants mouvements le soutiennent à travers le monde à Berlin, Hong-Kong, Varsovie… sur le thème : que faire de la vie privée ? En France, Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon ont réclamé pour lui le droit d'asile.
Dans une récente interview au Guardian, Edward Snowden s'est cependant dit très inquiet sur l'actualité des pratiques massives de surveillance. L'explosion technologique de ces dernières années est utilisée par les États comme par les organismes privés. L'actualité de Pegasus qu'un livre récent désigne comme « l'arme de cybersurveillance la plus puissante du marché » ou celle des caméras et des logiciels de reconnaissance faciale qui se multiplient illustrent cette réalité. L'histoire a déjà prouvé que cette victoire de l'espace privé n'allait pas de soi, mais le combat dans l'avenir risque d'être encore plus difficile avec toutes ces nouvelles technologies qui à l'évidence peuvent servir « la domination économique et le contrôle social » dénoncées par Snowden.