Donald Trump inapte à la présidence des Etats-Unis ? Flou juridique à deux semaines des primaires républicaines
Les États-Unis viennent-ils d'entamer une année de chaos électoral avant le scrutin présidentiel de novembre 2024 ? C'est l'impression de beaucoup de commentateurs suite aux derniers développements autour de la candidature de l'ex-président Donald Trump. À deux semaines des primaires du Parti Républicain, Trump devance de loin ses rivaux dans les sondages, mais il vient d'être disqualifié par les états de Colorado et Maine, jugé inéligible selon la section 3 du 14ème amendement de la Constitution américaine. Datant des années suivant la Guerre Civile, cette loi barre de tout office public les individus ayant participé à une insurrection. La Cour suprême du Colorado, tout comme la secrétaire d'état du Maine, Shenna Bellows, a décidé que la section 3 (qui visait à l'origine les ex-leaders sudistes tels que Jefferson Davis ou le général Robert E. Lee) s'applique à Donald Trump en raison de son rôle allégué dans l'assaut au Capitole du 6 janvier 2021. Au Colorado, le Parti Républicain a protesté contre le vote de la Cour, tandis qu'au Maine, c'est Trump lui-même qui conteste la décision de Shenna Bellows.
Si à première vue d'œil la loi semblerait bien exclure Donald Trump, la question procédurale est en effet assez complexe à cause des différences d'interprétation entre les systèmes légaux des divers états. Il est d'ailleurs surprenant de constater que certains états démocrates ne veulent pas barrer Donald Trump du scrutin républicain. C'est notamment le cas de la Californie où la secrétaire d'état Shirley Weber, malgré les exhortations d'Eleni Kounalakis (lieutenant-gouverneure), a décidé de ne pas disqualifier Trump. Une position rejointe par le gouverneur californien Gavin Newsom, considéré par beaucoup comme un candidat démocrate potentiel en 2028 et donc déjà soucieux de courtiser les électeurs modérés en évitant des propos trop incendiaires à l'adresse de Trump.
Comme elle a expliqué à la chaîne MSNBC, Shirley Weber estime que le comportement de l'ancien président suite à sa défaite en novembre 2020 était certes « répugnant », mais qu'il faudrait interpréter la loi avec prudence. Elle craint notamment que, si l'on utilisait la section 3 du 14ème amendement sur la participation à une insurrection pour interdire la candidature de Donald Trump, les mêmes propos puissent être utilisés dans l'avenir pour barrer l'accès aux offices publics à d'autres personnes ayant manifesté contre le gouvernement (tels que les partisans du mouvement « Black Lives Matter »).
Au niveau politique, certains opposants à Trump considèrent que la prise de mesures juridiques contre la campagne de Trump pourrait paradoxalement la renforcer. Un souci qu'on ne trouve pas uniquement chez les démocrates, mais qui a aussi été exprimé par le gouverneur républicain du New Hampshire Chris Sununu ainsi que par le candidat républicain aux primaires Chris Christie. Ce dernier a vivement critiqué la décision du Maine, pensant qu'elle ferait de Donald Trump un martyr politique, notant une tendance à jouer la victime chez ce « pauvre milliardaire de New York qui dépense l'argent des autres pour payer ses frais légaux. »
Dans une situation où les divers états risquent de prendre des positions opposées concernant l'éligibilité de Donald Trump, les yeux sont rivés sur la Cour Suprême des É.-U. pour prendre une décision valable pour l'ensemble du pays afin d'éviter un scénario chaotique. Étant donné que les juges conservateurs – dont 3 nommés par Trump lui-même - sont majoritaires (6 à 3), on s'attend en principe à ce que la Cour statue en sa faveur. Il est par contre probable qu'elle le fasse en évoquant des détails légaux techniques plutôt qu'en disculpant Trump par rapport à l'assaut au Capitole, ce qui exposerait la Cour à la charge d'être biaisée politiquement. On s'interroge par contre sur l'attitude du juge Clarence Thomas, dont l'épouse Virginia avait activement soutenu Trump avant l'assaut au Capitole. Logiquement, Clarence Thomas devrait se récuser de tout vote concernant la campagne de Trump en raison d'un conflit évident d'intérêt. Il a néanmoins participé aux délibérations récentes au sujet de l'immunité de l'ancien occupant de la Maison Blanche contre l'accusation d'avoir comploté pour renverser le résultat des élections de novembre 2020. On verra si Thomas fera partie des discussions à venir, qui pourraient affecter non seulement les élections présidentielles, mais aussi la crédibilité de la Cour Suprême.
Quant à l'opinion publique, elle reste divisée au sujet des élections de 2020 et l'assaut au Capitole : selon un sondage du Washington Post et l'Université du Maryland réalisé entre le 14 et 18 décembre 2023, seulement 62 % des américains (et 31 % des électeurs républicains) pensent que Joe Biden a été élu de manière légitime - des chiffres en chute depuis 2021. 55% des répondants à l'enquête ont estimé que l'assaut au Capitole a été une atteinte à la démocratie à ne jamais oublier, mais 43 % ont pensé qu'on y a prêté trop d'attention.