Pas de dernière séance pour les salles obscures
Le cinéma est à la fois une invention et une passion française. Invention d'abord, avec ce premier film de l'histoire, saisi le 19 mars 1895 à la sortie des usines familiales. Depuis, la rue lyonnaise en question a d'ailleurs été rebaptisée Rue du Premier-Film. Quant à la première séance payante de cinéma, lors de laquelle ce court-métrage sera projetée, elle remonte au 28 décembre 1895 au Salon indien du Grand café, à Paris. Le cinéma était né, et l'annonce de sa mort au lendemain de la pandémie était très exagérée.
Passion, ensuite, car la France demeure le premier marché européen en la matière et le troisième marché mondial pour le cinéma, après les États-Unis et la Chine. Son industrie du cinéma produit et attire de nouveau. Le cinéma le plus fréquenté au monde est d'ailleurs français : l'UGC Ciné Cité Les Halles, situé dans le 1er arrondissement de Paris, avec 2,22 millions de spectateurs ayant fréquenté l'une de ses 27 salles l'an passé. Une multiplex qui, pourtant ou justement, diffuse 65 % de films classés art et essai. Il faut dire que si les spectateurs sont bel et bien de retour dans les salles obscures, c'est parce que les films font de même. La peur de se côtoyer s'est évanouie, et Tom Cruise a littéralement sauvé le cinéma en redonnant envie d'aller voir son Top Gun : Maverick, sur grand écran, comme l'en a félicité Steven Spielberg en personne. Les blockbusters hollywoodiens sont de retour, les films français aussi, et le public retrouve le chemin des salles, que ce soit pour aller voir Les trois mousquetaires : D'Artagnan, Avatar : La Voie de l'eau, Astérix & Obélix : L'Empire du Milieu, Super Mario Bros, Indiana Jones, Oppenheimer ou Barbie.
Si la reprise a été lente à venir pour l'industrie du cinéma, la fréquentation commence à se rapprocher des niveaux de l'avant-pandémie. Quand les salles de cinéma généraient 1,4 milliard d'euros de recettes en France en 2019 pour tomber à 0,4 puis 0,7 milliard en plein Covid, 2022 revenait à 1,1 milliard d'euros de recettes, avec seulement une trentaine de films au-dessus de la barre du million d'entrées. En avril dernier, avec 19 millions de spectateurs, la fréquentation des cinémas était enfin de retour au beau fixe, avec moins de films, mais plus d'entrées. Cette année, petit à petit, les films américains reprennent leur place dominante à l'affiche, avec 42 % de parts de marché sur les quatre premiers mois de l'année, contre 27 % l'an dernier. Si le millésime 2022 se sera achevé avec une fréquentation en recul d'un quart par rapport à avant la crise du Covid (152 millions d'entrées en 2022, +59,2 % par rapport à 2021), 2023 devrait avoir remonté la pente. Et ce quels que soient les âges et les profils, preuve que l'essor du streaming vidéo ne tue pas l'industrie cinématographique.
En effet, la fréquentation des salles obscures en France devrait bientôt franchir de nouveau la barre des 200 millions de spectateurs par an. Reste une critique récurrente à l'égard du cinéma : le prix des billets est trop élevé. Pourtant, un billet coûtait 6,50 € en 2016, et 7,20 € l'an passé, selon les chiffres du Centre national de la cinématographie (CNC), avec en moyenne quatre billets par an. Pour autant dans certaines salles, le prix du ticket flirte plutôt avec les 20 euros. Certes, cela reste peu comparé à un billet pour un match de football, ou plus encore une place de concert. Mais cela a de quoi décourager rapidement les sorties familiales, qui plus est en pleine période d'inflation. Il faudra donc, au-delà de l'offre de films et du prix des places, que les salles de cinéma sachent se réinventer pour justifier le déplacement. Entre projection laser, fauteuils de luxe et expériences sensorielles, les cinémas n'ont pas dit leur dernier mot, quitte à devenir un loisir de luxe. Mais la dernière séance n'est décidément pas pour demain.