Et si on déménageait les ministères dans les tours de La Défense ?
Voilà Michel Barnier pris au mot. Puisque le Premier ministre veut simplifier le fonctionnement de l'État, qu'il souhaite libérer des lieux de prestige dans Paris, Jean Viard l'invite à « faire de La Défense le grand quartier des ministères français ». Cette proposition permettrait de faire d'une pierre trois coups.
D'abord, en quittant les palais de l'Ancien Régime, l'État se mettrait en conformité avec la République. Qu'a-t-il besoin de lambris d'un autre âge pour répondre aux missions que le peuple lui confie ? Pour Jean Viard, « ce n'est pas […] la peine d'avoir des bureaux, avec des dorures partout, qui font 100 m² ».
La simplification voulue par l'exécutif commande un cadre fonctionnel dont
sont dépourvus les ministères, la plupart étant éparpillés sur le VIIe et le
VIIIe arrondissements. Or, notre CBD (Central Business District), calqué sur les villes nord-américaines, est pensé pour l'efficacité, laquelle repose sur la concentration des activités, la limitation des distances et la densité des réseaux. Les ministères évolueraient vers plus d'interopérabilité. L'État acquerrait un visage digne de l'époque moderne qu'il aspire à représenter.
Ensuite, faire migrer les ministères à La Défense libérerait un patrimoine.
Le sociologue suggère de vendre les hôtels particuliers de la capitale aux très grandes entreprises qui en recherchent et auraient les moyens de les entretenir. Il s'agirait aussi de rendre des espaces verts aux Parisiens. Leur ville souffre de l'une des plus fortes densités du monde (21 000 habitants/km²) et d'une insoluble pénurie de foncier : « Le jardin du ministère de l'Agriculture, le jardin
du Premier ministre, ce sont des merveilles qui sont réservées à très peu de personnes », déplore Jean Viard. Des privilèges infondés.
Enfin, en allant à La Défense, l'État revitaliserait ce quartier futuriste iconique dont les prix se sont effondrés : « Avant le Covid, ça valait plus de 6 000 euros
le mètre carré, note Jean Viard, et maintenant, ça vaut moins de 300 euros ! »
En 2022, 25 % de ses 180 000 collaborateurs n'y sont pas revenus. Avec le télétravail, les entreprises ont préféré le prestige de la capitale à la surface en périphérie. Le quartier affichait alors un taux de vacance de 15,6 % contre 3,3 % à Paris intra-muros. Ce taux « apparaît clairement structurel, tant il se consolide depuis quatre ans à un niveau élevé ».
La Défense traverse une crise existentielle : le quartier d'affaires arrive à la fin d'un modèle. En 1958, quand le gouvernement créa l'Établissement Public pour l'Aménagement de la région de La Défense (EPAD) sur les communes de Puteaux, Courbevoie et Nanterre, c'était « vraiment la grande construction sur dalles de la fin du XXe siècle, la plus grande du monde », rappelle Jean Viard. Pour le sociologue, « c'est un monument historique qui doit être regardé comme tel ». Mais si les beautés de Paris ne cessent d'attirer, le vaisseau du capitalisme triomphant, postulant une « vie minérale et encravatée » (Guillemette Faure dans le Monde), ne fait plus rêver les jeunes actifs. Il existe même une association Fuyons La Défense dont les offres d'emploi se veulent « différentes et excitantes ».
La Défense fait aussi face à une crise urbanistique : Deloitte révèle que 37 % du parc immobilier a été construit avant 2000 et n'a pas été rénové. « 1,5 million de mètres carrés deviendront obsolètes dans les quinze ans à venir », selon l'étude. Or, ces tours ne pourront pas être relouées telles quelles. À l'heure actuelle, le quartier est surtout constitué d'immeubles de grande hauteur (IGH) totalisant environ 3 millions de mètres carrés.
La Défense est également touchée par la crise climatique : « Si on cumule
la densité d'activités humaines, le béton omniprésent et la soixantaine d'IGH,
La Défense a toutes les caractéristiques pour être un îlot de chaleur urbain particulièrement invivable en période de canicule estivale », observe Christophe Bys du site The Conversation.
Malgré tout, le quartier d'affaires ne manque pas d'arguments : « La toute nouvelle gare Éole est en service et le grand Paris Express placera 4 millions de Franciliens à moins de 30 minutes du territoire à horizon 2032. Son esplanade [...] gagnera en végétalisation [...] avec le projet de Grand parc de 5 hectares dessiné par Michel Desvigne, qui va la transfigurer d'ici 2027 », écrit Alexandre Foatelli du site Le Média. L'ambition est de créer le premier quartier d'affaires post-carbone du monde d'ici la fin de la décennie. L'État, en y installant ses ministères, donnerait à cette transition une raison d'être et une grande impulsion. En l'absence de projet d'envergure comparable, nul ne sait comment La Défense pourrait trouver un second souffle. L'EPAD serait alors guetté par l'EHPAD.