Le cri de détresse des apiculteurs français
Ça bourdonne fort à Lyon, Mont-de-Marsan, Bouguenais... Venus manifester en ville avec leurs ruches, les apiculteurs français n'arrivent plus à vendre leur miel et sont nombreux à se retrouver avec un an de stock sur les bras. En cause, principalement : la concurrence déloyale de miels importés d'Espagne, d'Ukraine ou de Chine, avec la complicité d'industriels et d'enseignes de la grande distribution.
Les Français sont de gros consommateurs de miel : ils en achètent 40 000 tonnes par an. Mais la production nationale n'est que de 15 000 tonnes. Le recours à l'importation est donc inévitable. Mais, paradoxalement, beaucoup d'apiculteurs français restent avec des quantités importantes de miel invendu en raison des prix « cassés » par la grande distribution : entre 7 et 14 € par kilo pour le miel importé contre deux à quatre fois plus pour le miel produit en France. « Cette situation va conduire l'apiculture française au suicide » déplorent Philippe et Marc, apiculteurs dans les monts du Lyonnais et membres de l'Union nationale de l'apiculture française (Le Figaro, 5 février).
Dans la matinale de BFMTV (5 février), un apiculteur de Loire-Atlantique explique que la plupart du miel qu'on trouve dans les rayons des supermarchés n'est pas du miel français. Ce n'est même pas toujours du miel digne de ce nom, près de la moitié (46 %) étant fabriquée industriellement et qualifiée frauduleusement de « miel », selon une enquête de la répression des fraudes qui a retenu l'attention de FR3. Pays de la Loire (4 février).
Au 13h de TF1 (4 février), un apiculteur du Loiret montre les dix tonnes de miel qu'il ne parvient pas à vendre. Les industriels qui devaient lui acheter les trois quarts de sa production ont préféré se procurer des miels importés à des prix défiant toute concurrence...française. Résultat : il a dû renoncer à se payer, n'embauchera pas pour la saison prochaine, et va réduire ses ruches de 700 à 450.
Les apiculteurs français se sentent abandonnés. Trop peu nombreux (3 000 professionnels) pour inquiéter les pouvoirs publics, ils appellent à la création d'une intersyndicale afin d'obtenir une politique qualitative pour un prix minimum garanti. Ils attendent de réels contrôles sur la qualité et la traçabilité des imports, et redoutent que la suspension, voire l'abandon, du plan « Ecophyto » consécutive aux manifestations des agriculteurs, ait des conséquences néfastes pour leurs abeilles particulièrement sensibles aux pesticides. Certes, les apiculteurs se disent solidaires des agriculteurs aux côtés desquels ils travaillent. Mais ils estiment qu'au lieu de lâcher prise totalement sur des produits phytosanitaires pour calmer la colère des agriculteurs, quitte à revenir ensuite à la situation antérieure, le gouvernement aurait dû leur proposer d'évoluer en douceur vers des pratiques plus écologiques.
En attendant la fin de la concurrence déloyale et une meilleure protection de leurs abeilles, les apiculteurs placent leur espoir dans une prise de conscience des consommateurs français. Ils les mettent en garde contre la présentation de miels arborant un drapeau tricolore dans les grandes surfaces : « On voit encore trop de miels avec des drapeaux français alors qu'à l'intérieur, c'est du miel bulgare ou ukrainien », s'indigne dans Ouest-France (3 février) un apiculteur de l'Eure. Pourtant, depuis le 1er juillet 2022, l'indication de l'origine des miels est obligatoire, mais seulement pour les pots conditionnés en France… Des négociants se sont empressés de contourner cette obligation en effectuant la mise en pot ailleurs en Europe, par exemple en Belgique. Au moins à court terme, la meilleure solution pour sauver l'apiculture française est la vente directe chez le producteur, une pratique adoptée par cet apiculteur de la Loire interviewé par FR3 Auvergne-Rhône-Alpes (5 février, en lien ci-dessous).