De coup d'État en coup d'État, l'Afrique tourne le dos à la France
Le continent africain est coutumier des coups d'État. La zone sahélienne qui s'étend du Sahara au Nord aux savanes au Sud, et de l'Atlantique à la mer Rouge, est particulièrement instable. On y assiste depuis 2019 à une recrudescence des putschs. Ils ont réussi au Mali (2020), au Tchad (2021), au Burkina Faso (2022), au Niger (juillet 2023), le dernier en date, du 30 août 2023, est au Gabon, en Afrique de l'Ouest, dans un contexte différent de celui du Sahel (les intérêts français n'y semblent pas menacés). Le Tchad est un cas particulier : le 21 avril 2021, le président Idriss Déby, allié de la France depuis trente ans, meurt en combattant les djihadistes. L'armée tchadienne impose son fils Mahamat Déby à la présidence. Pour une « transition » qui s'avère, deux ans plus tard, être permanente...mettant la France, l'Union européenne et l'Union africaine devant le fait accompli.
Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les juntes au pouvoir adoptent une posture russophile, agressivement anti-occidentale et surtout antifrançaise (les mercenaires de Wagner étant supposés supplanter les militaires français de la force Barkhane dans la lutte contre les djihadistes). Fin janvier 2022, la junte malienne a expulsé l'ambassadeur de France, contraint l'armée française à plier bagages, et obtenu le départ de la Minusma, la mission de l'ONU. Cela n'a pas empêché la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) de lever presque toutes les sanctions contre le Mali. En février 2023, le Burkina Faso a suivi l'exemple du Mali : l'ambassade de France a été attaquée et le centre culturel français pillé. Les forces spéciales françaises basées dans le pays ont dû le quitter, tout comme l'ambassadeur. Le même scénario se reproduit à présent au Niger, après le renversement du président élu Mohamed Bazoum par le général Abdourahamane Tiani, le 26 juillet dernier.
Ces putschs en Afrique de l'Ouest et au Sahel sont provoqués par des « magouilles » constitutionnelles de chefs d'État s'accrochant à leur poste (le règne des Bongo père et fils au Gabon aura duré presque 56 ans !) sur fond d'affairisme et, surtout au Sahel, de conflits ethniques (lire à ce propos le blog de Bernard Lugan, en lien ci-dessous). Ils sont généralement appuyés par des populations frustrées, affligées par une démographie galopante, abandonnées à la pauvreté et aux razzias des djihadistes -ceux de l'État islamique au Grand Sahara (EIGS) implanté aux confins du Niger et du Mali, ceux du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM), la branche sahélienne d'al-Qaida, ou encore ceux de Boko Haram, autour du lac Tchad, au croisement des frontières du Niger, du Cameroun, du Tchad et du Nigeria.
Bien que rivaux et s'affrontant périodiquement, ces groupes terroristes tirent profit de coups d'État qui paralysent les coalitions militaires qui les combattaient avec l'appui de l'armée française. Les coups d'état au Mali, au Burkina Faso et au Niger, ont divisé la Cédéao, et interrompu les opérations contre les djihadistes menées avec des pays côtiers eux aussi menacés par des groupes terroristes, le Bénin, le Nigeria, le Sénégal. Après le putsch au Niger, le Premier ministre nigérien nommé par les militaires au pouvoir avait affirmé, au début de ce mois de septembre que des « échanges » étaient en cours pour obtenir un départ rapide des quelque 1500 soldats français présents dans le pays dans le cadre de la lutte anti-jihadiste au Sahel. Le 9 septembre, le nouveau régime militaire nigérien a carrément accusé Paris de « déployer ses forces » dans plusieurs pays ouest-africains en vue d'une « agression » contre le Niger. Emmanuel Macron lui a répondu le 10 septembre depuis New Delhi, en Inde, à l'issue du sommet du G20 : « Si nous redéployons quoi que ce soit, je ne le ferai qu'à la demande du président Bazoum et en coordination avec lui, pas avec des responsables qui aujourd'hui prennent en otage un président », a poursuivi Emmanuel Macron, faisant allusion à la résidence forcée de Mohamed Bazoum.
On ne saurait toutefois attribuer systématiquement aux pressions djihadistes ou aux manigances russes le recul de la France sur le continent africain. Ce n'est pas un putsch ni des influences islamistes qui sont à l'origine du « froid » persistant entre la monarchie marocaine et les autorités françaises, mais un vieux désaccord sur le Sahara occidental, auquel se sont ajoutés la révélation d'écoutes téléphoniques du président français par le Maroc, les problèmes des visas, du trafic de drogue depuis le Maroc, le tout renforcé par l'animosité personnelle entre le roi et le président. On vient d'en avoir une illustration spectaculaire avec le refus de l'aide humanitaire française après le tremblement de terre qui endeuille le Maroc, tandis que les offres de l'Espagne et de la Grande-Bretagne ont été prestement acceptées...