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Le complexe militaro-industriel américain dans la logique du « toujours plus »

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°2308, Publiée le 31/10/2024 - Illustration : Shutterstock
Un demi-siècle après le désastre vietnamien, la « théorie des dominos » domine toujours la stratégie américaine. Si les faits ont démontré que cette théorie était fallacieuse et que la contagion ne gagne que très rarement les pays voisins, l'Oncle Sam ne change toujours pas de logiciel, encouragé par l'industrie de l'armement qui bat ses records de vente. Une logique guerrière au nom de la paix qui peut directement ou indirectement conduire à embraser le monde...

La puissante RAND Corporation (think tank américain) a fait publier un rapport, le 29 juillet dernier, sur la politique de défense par une commission parlementaire – alors que les élections présidentielles arrivent début novembre. Les préconisations sont de renforcer la machine de guerre américaine pour la rendre capable d'agir partout dans le monde. Le budget de la défense à 3,5 % du PIB (ou près de 916 milliards de dollars) – de loin le plus gros du monde – ne serait pas suffisant dans un contexte où Washington entend contraindre la Russie en Ukraine, appuyer son allié israélien au Moyen-Orient et renforcer ses capacités face à la Chine. Le rapport se réfère aux dépenses dévolues à la défense pendant la Guerre Froide : entre 4,9 % et 16,9 % du PIB (avec des pics pendant les conflits en Corée et au Vietnam). Selon RAND Corporation, il est urgent d'investir plus encore dans le complexe militaro-industriel pour assurer la sécurité des États-Unis et de ses alliés occidentaux.

Et cette pression pour dépenser toujours plus en armes s'accompagne d'une feuille de route préconisant d'étendre la présence de l'OTAN et « d'intégrer » toujours plus les alliés dans un système dirigé par Washington. Il faudrait renforcer l'empire du dollar à ses frontières selon la « théorie des dominos » qui a dicté la politique américaine depuis plus de cinquante ans. Et ça marche ! Trump a ainsi qualifié Zelensky de « meilleur commercial de la planète » : « Chaque fois qu'il vient dans notre pays, il repart avec 60 milliards de dollars », a-t-il ironisé.

On pourrait cependant renverser l'équation et regarder le lien direct entre la dépense en armements et le développement des guerres : la Corée a causé 170 000 morts, le Vietnam 280 000 du côté américain et alliés. La guerre en Ukraine est une aubaine pour l'industrie de l'armement, avide de gains, qui n'a aucun intérêt à la paix et qui prospère aujourd'hui en battant tous ses records de ventes avec au total 238 milliards de dollars d'exportations en 2023 (la Pologne, effrayée par la Russie, représente à elle seule un tiers de ce montant !). Mais la vente massive d'armes de toutes sortes qui sont utilisées ou pas, et parfois revendues ailleurs par des gens corrompus, n'alimente-t-elle pas la folie du monde et les guerres de demain ? Dwight D. Eisenhower avait lancé un avertissement solennel à se méfier du complexe militaro-industriel dans son discours d'adieu en janvier 1961, mais qui s'en souvient ?

L'actualité dramatique de l'Ukraine au Moyen-Orient oblige les candidats à se positionner sur ces sujets militaires, même si les débats électoraux restent surtout centrés sur des questions domestiques. Donald Trump maintient une ligne prudente sur les questions internationales, faisant de la paix en Ukraine une priorité, sans pourtant remettre en question la « théorie des dominos ». Kamala Harris a prédit à l'inverse que, si son adversaire revenait au pouvoir, les ambitions de Poutine iraient au-delà de l'Ukraine… Au Moyen-Orient, républicains comme démocrates affichent un soutien inconditionnel à Jérusalem. C'est même un dogme pour l'administration américaine : Condoleezza Rice – ancienne conseillère puis secrétaire d'État sous George W. Bush – a annoncé qu'il fallait soutenir Kamala Harris, car une victoire de Trump signifierait un retour à l'isolationnisme. Jared Kushner, le gendre et ancien conseiller de Donald Trump, affiche pourtant publiquement une ligne dure pro-israélienne. Face à la Chine, on ne distingue pas de différence dans la vision agressive des deux camps.

Aucun des deux camps ne le fait, mais il conviendrait de revenir sur l'histoire de ces « dominos », car la théorie encore en vigueur qui prône l'interventionnisme a connu de terribles échecs. Cette théorie a justifié la guerre américaine au Vietnam en prédisant qu'une victoire communiste ferait tomber d'autres « dominos » : le Japon, la Corée du Sud, la Thaïlande, l'Indonésie ou encore la Malaisie. Rien de tel ne s'est passé ! La Thaïlande est restée farouchement anti-communiste, les Britanniques ont écrasé l'insurrection communiste en Malaisie alors même que les Français perdaient l'Indochine. Le Vietnam s'est retrouvé plongé dans une guerre au Cambodge contre les Khmers rouges soutenus par les Chinois maoïstes… Aujourd'hui, le Vietnam communiste est devenu un allié important de Washington face à Pékin. Et l'offensive massive en Irak de 2003 – déclenchée par un mensonge d'État – était censée reconstruire un Moyen-Orient débarrassé du « domino » Saddam Hussein. On connaît le résultat…

La « théorie des dominos » instrumentalisée par les va-t'en-guerre contribue à détourner le célèbre axiome « qui veut la paix prépare la guerre », en demandant « toujours plus » de dépenses d'armement au nom de la paix. La recherche de compromis par les diplomates était pourtant la voie normale pour éviter ou surmonter les conflits. Un exemple historique cité par The American Conservative est la transformation d'une hostilité continue entre la nouvelle république américaine et l'ancien colon britannique depuis l'indépendance en une alliance extrêmement solide...

La sélection
The domino theory refuses to fall
Lire l'article sur : The American Conservative
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