Économie
Commerce extérieur : la France dans le gaz
La France devient-elle un « pays en développement », c’est-à-dire « sous-développés » ? Il y a un an, François Bayrou tweetait : « Nous sommes un pays producteur de pommes de terre. Nous les vendons à l'extérieur, mais nous rachetons ensuite des produits dérivés comme des chips au lieu de les produire chez nous. » La France est même le premier exportateur mondial de pommes de terre !
Patrice Moyon renchérit dans Ouest-France : « Le même phénomène est observé dans la filière bois. La France exporte du bois qu’elle réimporte sous forme de produits transformés. De la même façon, si la France exporte 40 % de sa production laitière elle est en revanche importatrice de machines à traire en provenance de deux pays : la Suède et les Pays-Bas. Troisième exportateur mondial de blé, la France est aussi importatrice nette de moissonneuses-batteuses. Le constat est sévère, à bien des égards s’est développée une économie de pays en développement. »
Le pis, c’est qu’un an après, le mal s’aggrave dans des proportions stupéfiantes : le 7 février, Olivier Becht, ministre du Commerce extérieur, annonce un déficit record sur les biens (- 164 Md€ en 2022). C’est le plus important depuis… 1948 ! Toutefois, les services dégagent un excédent record sur la même période (+ 50 Md€) après 36 Md€ l'année précédente. Les services sont dopés par la reprise du tourisme post-covid et la bonne tenue du transport maritime. Mention spéciale à Rodolphe Saadé, patron franco-libanais de CMA CGM, avantagé en 2022 par les tensions sur les chaînes d'approvisionnement (25 Md€ d’excédents à lui tout seul !)
Pendant ce temps, les biens manufacturés dégustent : en 2022, le déficit double quasiment par rapport au précédent record (- 84,7 Md€ en 2021). En cause : le coût de l'énergie multiplié par 2,1 à 115 Md€ (contre 45 Md€ en 2021). Rien que sur le gaz, le prix flambe de 248 % à 59 Md€ ! Les importations de pétrole brut et de produits pétroliers prennent cher, respectivement 33 Md€ (+ 99 %) et 38 Md€ (+ 60 %).
Mais tout imputer à l’énergie serait faux. La France est en déficit chronique depuis vingt ans : selon l’Insee, le dernier excédent commercial français sur les biens remonte à 2002 ! Et malgré la facture énergétique, « le moteur allemand n'a pas calé en 2022 », écrit Ninon Renaud, correspondante des Échos à Berlin. Certes, « la chute est impressionnante », observe-t-elle. L'excédent commercial de l'Allemagne plonge de 56 % (+ 76 Md€ en 2022), soit le solde le plus bas depuis 2000, selon l'Office fédéral de la statistique (Destatis).
Le champion européen des exportations subit sa cinquième année consécutive de baisse. Mais à y regarder de près, les dégâts sont limités. « En volume, c'est-à-dire hors inflation, les exportations allemandes n'ont fait que stagner en 2022 », ce qui est « déjà une bonne performance », note Ninon Renaud, si on considère que la Russie et la Chine se sont refermées, l’une en raison de la guerre en Ukraine, l’autre à cause de sa stratégie « zéro Covid ».
Où sont les atouts de la France ? Trois mots les résument : parfums, boissons, avions, avec respectivement 15, 16 et 23 Md€ d'excédent en 2022. Arrive ensuite l’agriculture (10 Md€ en progression de 2 Md€ sur un an). La « ferme France » est donc rentable mais le contexte n’y est pas pour rien : la guerre en Ukraine fait non seulement augmenter le prix du blé mais augmente aussi nos exportations vers l’Afrique (+ 135 % en 2022), les traditionnels fournisseurs de continent, Russie et Ukraine, étant hors-jeu depuis un an.
Côté faiblesses, la situation se dégrade pour la chimie, passée d'un excédent de 6 Md€ en 2021 à un déficit de 3 Md€ en 2022, « en lien avec la forte exposition de l'industrie chimique aux intrants énergétiques ». L’automobile recule aussi et fortement, victime d’un déficit record de 19,9 Md€, soit près de deux milliards de plus qu'en 2021, année déjà historique. Depuis 2010, le trou ne cesse de se creuser.
Si 60 % de la dégradation de la balance commerciale est imputable à l’énergie, 40 % l’est aux biens manufacturés. Il y a trois raisons à cela, bien connues et depuis longtemps : l’industrie française n’innove pas assez, les impôts de production sont trop lourds et les charges sociales trop élevées. Les conséquences sont là : en 2000, la part des exportations tricolores dans la zone euro s’élevait à 17 % contre 12 % vingt ans plus tard. Sur la même période, notre déficit avec l’Allemagne est passé de 8,3 à 15,2 Md€. Quant aux parts de marché à l’export de la France au niveau mondial, elles ont fondu de 6,3 % en 1990 à 3 % en 2019.
Pour Patrice Moyon, on assiste aux conséquences d’une triple rupture : « La première est liée à la désindustrialisation massive entamée après le premier choc pétrolier en 1974 » avec deux millions d’emplois détruits depuis lors dans l'industrie. La deuxième rupture provient du décrochage du système scolaire. Et la troisième, la pire, naît d'un « déni de réalité (…) avec des politiques à contretemps ou contre-emploi », que ce soit en termes de « fiscalité, d'intégration des jeunes et des seniors sur le marché du travail ou des énergies renouvelables ».
Patrice Moyon renchérit dans Ouest-France : « Le même phénomène est observé dans la filière bois. La France exporte du bois qu’elle réimporte sous forme de produits transformés. De la même façon, si la France exporte 40 % de sa production laitière elle est en revanche importatrice de machines à traire en provenance de deux pays : la Suède et les Pays-Bas. Troisième exportateur mondial de blé, la France est aussi importatrice nette de moissonneuses-batteuses. Le constat est sévère, à bien des égards s’est développée une économie de pays en développement. »
Le pis, c’est qu’un an après, le mal s’aggrave dans des proportions stupéfiantes : le 7 février, Olivier Becht, ministre du Commerce extérieur, annonce un déficit record sur les biens (- 164 Md€ en 2022). C’est le plus important depuis… 1948 ! Toutefois, les services dégagent un excédent record sur la même période (+ 50 Md€) après 36 Md€ l'année précédente. Les services sont dopés par la reprise du tourisme post-covid et la bonne tenue du transport maritime. Mention spéciale à Rodolphe Saadé, patron franco-libanais de CMA CGM, avantagé en 2022 par les tensions sur les chaînes d'approvisionnement (25 Md€ d’excédents à lui tout seul !)
Pendant ce temps, les biens manufacturés dégustent : en 2022, le déficit double quasiment par rapport au précédent record (- 84,7 Md€ en 2021). En cause : le coût de l'énergie multiplié par 2,1 à 115 Md€ (contre 45 Md€ en 2021). Rien que sur le gaz, le prix flambe de 248 % à 59 Md€ ! Les importations de pétrole brut et de produits pétroliers prennent cher, respectivement 33 Md€ (+ 99 %) et 38 Md€ (+ 60 %).
Mais tout imputer à l’énergie serait faux. La France est en déficit chronique depuis vingt ans : selon l’Insee, le dernier excédent commercial français sur les biens remonte à 2002 ! Et malgré la facture énergétique, « le moteur allemand n'a pas calé en 2022 », écrit Ninon Renaud, correspondante des Échos à Berlin. Certes, « la chute est impressionnante », observe-t-elle. L'excédent commercial de l'Allemagne plonge de 56 % (+ 76 Md€ en 2022), soit le solde le plus bas depuis 2000, selon l'Office fédéral de la statistique (Destatis).
Le champion européen des exportations subit sa cinquième année consécutive de baisse. Mais à y regarder de près, les dégâts sont limités. « En volume, c'est-à-dire hors inflation, les exportations allemandes n'ont fait que stagner en 2022 », ce qui est « déjà une bonne performance », note Ninon Renaud, si on considère que la Russie et la Chine se sont refermées, l’une en raison de la guerre en Ukraine, l’autre à cause de sa stratégie « zéro Covid ».
Où sont les atouts de la France ? Trois mots les résument : parfums, boissons, avions, avec respectivement 15, 16 et 23 Md€ d'excédent en 2022. Arrive ensuite l’agriculture (10 Md€ en progression de 2 Md€ sur un an). La « ferme France » est donc rentable mais le contexte n’y est pas pour rien : la guerre en Ukraine fait non seulement augmenter le prix du blé mais augmente aussi nos exportations vers l’Afrique (+ 135 % en 2022), les traditionnels fournisseurs de continent, Russie et Ukraine, étant hors-jeu depuis un an.
Côté faiblesses, la situation se dégrade pour la chimie, passée d'un excédent de 6 Md€ en 2021 à un déficit de 3 Md€ en 2022, « en lien avec la forte exposition de l'industrie chimique aux intrants énergétiques ». L’automobile recule aussi et fortement, victime d’un déficit record de 19,9 Md€, soit près de deux milliards de plus qu'en 2021, année déjà historique. Depuis 2010, le trou ne cesse de se creuser.
Si 60 % de la dégradation de la balance commerciale est imputable à l’énergie, 40 % l’est aux biens manufacturés. Il y a trois raisons à cela, bien connues et depuis longtemps : l’industrie française n’innove pas assez, les impôts de production sont trop lourds et les charges sociales trop élevées. Les conséquences sont là : en 2000, la part des exportations tricolores dans la zone euro s’élevait à 17 % contre 12 % vingt ans plus tard. Sur la même période, notre déficit avec l’Allemagne est passé de 8,3 à 15,2 Md€. Quant aux parts de marché à l’export de la France au niveau mondial, elles ont fondu de 6,3 % en 1990 à 3 % en 2019.
Pour Patrice Moyon, on assiste aux conséquences d’une triple rupture : « La première est liée à la désindustrialisation massive entamée après le premier choc pétrolier en 1974 » avec deux millions d’emplois détruits depuis lors dans l'industrie. La deuxième rupture provient du décrochage du système scolaire. Et la troisième, la pire, naît d'un « déni de réalité (…) avec des politiques à contretemps ou contre-emploi », que ce soit en termes de « fiscalité, d'intégration des jeunes et des seniors sur le marché du travail ou des énergies renouvelables ».