Claudine Gay, présidente de Harvard, scalpée par la droite US et Chris Rufo
C'est une belle prise de guerre pour la droite US et la lutte antiwoke, alors que se profile une élection à la Maison-Blanche avec ou sans Donald Trump. Mardi 2 janvier, la présidente de l'université Harvard démissionnait, moins d'un mois après son audition devant le Congrès et six mois seulement après son entrée en fonction.
La guerre Israël/Hamas aura terrassé ce professeur de 53 ans, politologue, tombé au front de ses propres limites. Claudine Gay était un symbole de l'idéologie DEI (diversity, equity, inclusion). Née à New York dans une famille d'immigrés haïtiens, elle est devenue en juillet la première femme noire à prendre la tête d'un établissement de l'Ivy League, ce groupe de huit universités privées élitistes du nord-est. C'était la seconde femme à diriger Harvard après l'historienne Drew Gilpin Faust (2007-2018). Par temps calme, elle aurait pu jouir de sa carte de visite. Mais le 7 octobre, le volcan de la guerre Israël/Hamas se réveille ; la lave de la polémique met le feu aux campus les plus renommés.
L'événement a lieu le 5 décembre. Ce jour-là, Gay répond pendant cinq heures à une commission d'élus de la Chambre des représentants, aux côtés d'Elizabeth Magill et de Sally Kornbluth, ses homologues de l'université de Pennsylvanie (UPenn) et du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Magill démissionnera quatre jours plus tard après un an d'exercice. Gay sera la seconde à quitter son poste, le 2 janvier. Kornbluth, qui est juive, sera soutenue par son conseil d'administration.
Le 5 décembre donc, les trois femmes répondent aux questions d'Elise Stefanik. L'élue républicaine assimile les appels d'étudiants à l'intifada à une exhortation à « un génocide contre les juifs en Israël et dans le monde ». Lorsqu'elle demande si « appeler au génocide des juifs viole le règlement sur le harcèlement à Harvard, oui ou non ? », Gay relativise : « Cela peut, en fonction du contexte », avant d'ajouter : « Si c'est dirigé contre une personne. » Magill est sur la même ligne. De son côté, Kornbluth indique n'avoir « pas entendu d'appels au génocide des juifs sur [son] campus ».
Ces réponses, devenues virales, suscite l'indignation jusqu'à la Maison-Blanche. Le porte-parole Andrew Bates juge « incroyable que cela doive être dit : les appels au génocide sont monstrueux ». Le lendemain, la Chambre des représentants adopte une résolution condamnant les propos tenus lors de l'audition. Deux jours plus tard, le 7 décembre, le Congrès ouvre une enquête sur ce qu'il qualifie d' « antisémitisme endémique » sur les campus américains.
Contrairement à Magill, la présidente de Harvard présentera ses excuses et reconnaîtra avoir manqué de présence d'esprit. Le contexte est le maître mot de cette controverse. Peut-il relativiser le sacro-saint droit à la liberté d'expression garanti par le premier amendement de la Constitution américaine ? Quoi qu'il en soit, Gay offrit une réponse légaliste quand on l'attendait sur le terrain moral.
Au-delà du débat de fond, Christopher Rufo, 39 ans, peut accrocher la démission de Claudine Gay à son tableau de chasse. Selon le site Politico, c'est lui le cerveau de l'opération. Cette figure du militantisme conservateur émerge depuis trois ans grâce à son combat contre la théorie critique de la race. Recruté par le gouverneur de Floride Ron DeSantis, candidat à l'investiture républicaine, il est considéré comme le maître à penser du « Stop-Woke Act », programme de libération de l'université gangrénée par le wokisme.
Depuis un mois, Rufo joue avec succès sur les trois leviers, moral, financier, politique. D'abord, il accusa Gay d'avoir plagié les travaux d'autres chercheurs, ce qui, outre la polémique sur l'antisémitisme, permit de mobiliser les gros donateurs de Harvard. Le célèbre investisseur Bill Ackman fit ensuite pression sur le conseil d'administration. Pour finir, la parlementaire Elise Stefanik sut prendre Claudine Gay au piège de ses ambiguïtés.