Le chaudron en ébullition du Salon de l'agriculture 2024 restera dans les annales
À leur entrée dans Paris avec leurs tracteurs, le 23 février, les paysans ont été très bien reçus par les riverains et les commerçants qui leur ont offert à boire et à manger. Mais le lendemain, porte de Versailles, c'était une tout autre ambiance. Avant même l'ouverture des portes du 60e Salon de l'agriculture, des dizaines d'agriculteurs y sont entrés en force, alors que le président de la République venait d'y arriver dans un concert assourdissant de sifflets et de huées. Des CRS casqués, munis de matraques et de gaz lacrymogène, ont empêché tant bien que mal les paysans en colère de s'approcher d'Emmanuel Macron. Avérés ou non, des propos du chef de l'État rapportés dans le quotidien La Marseillaise daté du jour même (24 février) avaient contribué à faire monter la pression : selon ce journal, Emmanuel Macron aurait déclaré aux syndicalistes du Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) reçus le 15 février à l'Élysée, que les « smicards » préféraient se payer des téléphones portables et des abonnements VOD, plutôt que de choisir une alimentation saine… Propos vigoureusement démentis par les services de la communication présidentielle mais confirmés par la délégation du MODEF...
De toute façon, l'ire des manifestants contre le président de la République était déjà portée à l'incandescence par l'invitation adressée par l'Élysée aux Soulèvements de la Terre, à participer au « grand débat » d'Emmanuel Macron avec les représentants des paysans (Le Figaro, 23 février). Ces écologistes radicaux, prônant la désobéissance civile et adeptes de la violence, avaient notamment affronté les forces de l'ordre pour saccager des mégabassines, ces réserves d'eau destinée à l'irrigation des cultures, dans les Deux-Sèvres, en octobre 2022 et au printemps 2023. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, avait qualifié Les Soulèvements de la Terre d'organisation « écoterroriste » et l'avait dissoute par décret en juin 2023. Mais le Conseil d'État avait annulé cette décision… Leur invitation surprise au Salon de l'agriculture a été annoncée par l'Élysée dans l'après-midi du 22 février, puis annulée dans la soirée. Elle était « inopportune » a déclaré le lendemain matin Marc Fesneau, le ministre de l'Agriculture sur TF1. « On ne discute pas avec ces gens-là » a-t-il ajouté. Trop tard : l'annonce avait mis un comble à l'exaspération des paysans, conduisant les syndicats agricoles les plus enclins à discuter avec l'exécutif, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, à refuser, eux aussi, de participer au « grand débat ». Il fut donc remplacé samedi matin par un « petit » débat de plus de deux heures dans un bâtiment protégé, au cours duquel le président de la République ferrailla avec quelques dizaines de représentants des agriculteurs en multipliant promesses et assurances de leur prompte exécution. Au passage, Emmanuel Macron démentit formellement et avec « colère » être à l'origine de l'invitation — annulée in extremis — des Soulèvements de la Terre, ce qui laisse augurer de vigoureux « recadrages » au sein des services de communication de l'Élysée.
Dans la plupart des médias, ce nouveau « show » présidentiel ne passe pas pour une réussite. Le JDD (25 février) ne se démarque pas de la majorité de ses confrères en le qualifiant de « fiasco politique ». D'autant plus que le lendemain de la visite présidentielle, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, était « reçu en rockstar » pour une visite de deux jours, titre La Croix (25 février).
Les engagements du président de la République ont été résumés par Le Point (24 février) : parvenir à « des prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole » (une solution jugée « irréaliste » par François Lenglet sur RTL) ; mettre en place avec les banques un « plan de trésorerie d'urgence » ; éviter la prohibition en France d'un pesticide autorisé par d'autres pays de l'Union européenne ; inscrire dans la loi la reconnaissance de l'agriculture comme « un intérêt général majeur » de la France ; enfin organiser dans les trois semaines à l'Élysée une réunion de « l'ensemble des organisations syndicales, l'ensemble des filières agricoles » afin de répondre précisément à la colère des agriculteurs… Mais rien sur l'actuelle politique agricole européenne dont un Français, Pascal Canfin, élu au Parlement européen sous la bannière du parti présidentiel Renaissance après quinze ans de militantisme chez Europe Écologie les Verts, est l'un des architectes en tant que président de la Commission environnement du Parlement européen. On lui attribue l'essentiel des normes européennes pointées du doigt par les agriculteurs dont le fameux Pacte vert ou « Green Deal », un ensemble de lois environnementales qui planifient la décroissance. Ces normes européennes ont été appliquées avec zèle et d'une façon particulièrement rigide par l'administration française, relève Jean-Pierre Riou, spécialiste des questions énergétiques, dans le journal en ligne Contrepoints (25 février, en lien ci-dessous). C'est la fameuse « surtransposition » des normes européennes que le gouvernement voudrait corriger d'urgence… Mais ce mot appartient-il au vocabulaire administratif ?