Changer de nom pour changer de vie : un droit en évolution
Société

Changer de nom pour changer de vie : un droit en évolution

Par Jacques Lucchesi. Synthèse n°1510, Publiée le 15/02/2022
Depuis notre petite enfance, notre patronyme nous accompagne dans tous les actes de la vie sociale. Il ne fait pas partie des premiers mots que nous apprenons à dire mais, certainement, de ceux que nous apprenons à écrire. Ainsi il nous identifie dans la durée et, autour de lui, s’articulent d’innombrables histoires. Alors que le prénom nous situe dans l’époque et la culture où nous naissons, le nom de famille traduit notre origine, nous inscrit dans une lignée qui remonte loin dans le temps et l’espace. Il nous appartient sans vraiment nous appartenir : nous n'en sommes que les usufruitiers. Et si parfois il nous semble obscur et difficile à prononcer, il a toujours un sens qui s’ancre dans un lexique et une langue, fut-elle différente de celle qu’on dit maternelle. En cela le nom propre a souvent des origines très communes. Et c’est sans parler de tous ceux avec qui nous le partageons, parfois dans un étonnant rapport d’homonymie.

Or, il arrive parfois que notre patronyme entre en résonance avec d’autres histoires que la nôtre. Celles-ci ne sont pas toujours désirables, peuvent nuire à notre insertion dans la société actuelle. Imagine-t’on le vécu de ceux qui ont hérité de noms entâchés par l’Histoire (comme Hitler ou Pétain), voire par des faits-divers sordides (comme Fourniret ou Dutrou) ? Comment vivre harmonieusement avec de telles ombres patronymiques, quand bien même nous n’aurions aucun lien de parenté avec ces sinistres personnages ? Ce n’est pas mieux quand notre nom évoque spontanément une insulte ou un qualificatif égrillard. Que de railleries et de quolibets ceux-là ont dû essuyer dès l’enfance ! N’est-il pas juste, dans leur cas, de pouvoir changer de nom afin de retrouver plus de respect et de sérénité ?

Depuis longtemps la loi française permet, pour de tels motifs, de changer de nom. Mais la procédure est longue et coûteuse. Il faut tout d'abord publier sa demande au Journal Officiel mais aussi dans un journal d'annonces légales (comptez 110 euros en moyenne). Cette première démarche effectuée, la demande devra ensuite être envoyée au Ministère de la Justice qui l'examinera et, après enquête, l'acceptera ou pas. Cela peut prendre plusieurs mois, voire plusieurs années – et le temps est un paramètre majeur dans ce genre de situations. Si la demande est avalisée par le procureur de la République, un décret sera publié au JO et vos actes d'état-civil seront dûment modifiés.

C'est pour soulager ces identités meurtries – plusieurs milliers chaque année, tout de même – que le député LREM Patrick Vignal a déposé, le 26 janvier dernier à l'Assemblée Nationale, une proposition de loi visant à simplifier cette procédure. Son originalité réside surtout dans la possibilité, offerte une fois dans sa vie à toute personne d'au moins dix-huit ans, de choisir le nom maternel si elle estime être en désaccord affectif avec celui de son père. Choix circonscrit, comme on le voit, à l'aire familiale, car il n'est pas question pour autant de s'offrir un nom fantaisiste. Pour cela il suffira d'en faire la demande à sa mairie via un formulaire Cerfa. Elle complète ainsi la loi du 4 mars 2002 permettant d'intégrer le patronyme de l'autre parent dans son nom d'usage.

Cette proposition a soulevé l'hostilité d'une partie des députés de Droite qui ont vu là un degré de plus dans la décomposition des familles, certains dénonçant, comme Marc Le Fur (LR), « un état-civil à la carte ». Elle remet surtout en cause la transmission nominative paternelle qui était jusqu'à présent l'un des grands privilèges masculins. Mais ces arguments conservateurs n'ont pas empêché son adoption en première lecture par 49 voix contre 5 ; d'autant qu'elle était chaudement soutenue par l'actuel Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, dont le nom composé est en soi une preuve à l'appui de cette nouvelle loi. Elle entrera donc en vigueur dès juillet 2022.

Certes la loi Vignal, pas plus que la loi Macron, ne deviendra « la loi du siècle ». Elle ne fait que prolonger, en les facilitant, des dispositions prises antérieurement par le législateur pour aider une infime minorité de citoyens à retrouver une dignité bafouée malgré eux. Mais elle est significative d'une évolution des mentalités vis-à-vis d'attributs, comme le nom, qui semblaient intangibles. Car de plus en plus, dans notre société, les doléances particulières veulent avoir voix au chapitre. De telles requêtes – qu'on songe, par exemple, à la loi Heuzet contre la glottophobie en 2020 – auraient été naguère jugées irrecevables. Mais aujourd'hui le droit français, via le politique, est bien obligé de les prendre en compte. Les mauvaises langues diront que Patrick Vignal aurait pu déposer plus tôt son projet à l'Assemblée Nationale, mais ceci est une autre histoire.
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