Économie

Carlos Ghosn, poignardé par le Japon, lâché par la France

Par Olivier Bonnassies. Synthèse n°1748, Publiée le 19/11/2022 - Photo : Carlos Ghosn, en juin 2013 (© shutterstock)

Il y a 4 ans, le 19 novembre 2018, le monde apprend, sidéré, l'arrestation de Carlos Ghosn, PDG de Renault et Président de Nissan, sur le tarmac de l'aéroport de Tokyo, au sortir de son jet privé. La surprise est totale pour l'intéressé d'abord, mais aussi pour les collaborateurs de l'alliance Renault-Nissan et pour le grand public. Le piège – car c'en est un – a été monté par un procureur japonais et par certains des plus hauts dirigeants de Nissan qui l'ont trahi et qui ont alerté la presse ! C'est donc en direct, devant les caméras de TV, que celui qui était jusqu'ici considéré, admiré et adulé au Japon comme « le sauveur de Nissan » devient sans transition un paria et un criminel à éliminer. « Jusqu'à mon arrestation, ce n'était que louanges, et puis tout d'un coup, en 24 heures, c'était fini ! » (Arab News).

Pour Carlos Ghosn, le cauchemar commence : on lui signale d'abord un faux problème de visa, puis il est embarqué, jeté dans une cellule de prison sans fenêtre, sans téléphone, sans avocat, à l'isolement, menotté, attaché par une laisse. On l'interroge jour et nuit, avec des menaces : « Ça va empirer pour vous si vous n'avouez pas »  ; « On va s'en prendre à vous et à votre famille. » Les semaines et les mois se succèdent sans qu'on sache si cela aura une fin : tel est l'hallucinant système judiciaire japonais, surnommé « système des otages », que les Nations unies dénoncent, puisqu'il donne un pouvoir sans limite aux accusateurs, sans aucun droit pour l'accusé, l'enquête pouvant durer plusieurs années. « Au Japon, quand une personne est arrêtée, sa vie se termine », dit-on. Et c'est bien ce qu'a ressenti l'accusé : « Je n'avais aucune chance d'être jugé équitablement et je me suis dit que j'allais mourir ici. » 

Quel crime a-t-il commis ? Officiellement, on n'en sait rien. Il n'y a pas d'acte d'accusation ! Les procureurs semblent commencer leur enquête et rechercher dans toutes les directions. La rumeur, détaillée dans un récent documentaire Netflix, parle de multiples choses non négligeables (management trop dur, dépenses excessives, investissements de Nissan mal justifiés, abus de biens sociaux, rémunérations importantes, crise de la cinquantaine…), mais tout cela n'a, à l'évidence, aucun rapport avec l'importance de l'action judiciaire lancée et sa violence.

La raison réelle, en fait, tout le monde la connaît. Les Japonais avaient déjà eu bien du mal à admettre que Nissan ait dû faire appel à une entreprise et un PDG étrangers ( « c'était comme si on avait perdu une guerre ! ») et l'orgueil national subissait aussi l'humiliation de devoir admettre que l'entreprise avait été sauvée par eux, mais il était inenvisageable d'accepter, comme le souhaitait Renault, une « plus grande convergence », un « renforcement de l'alliance », c'est-à-dire, en réalité, une plus grande mainmise française sur l'entreprise japonaise, que Renault contrôlait déjà à 36,8 %.

Incroyablement, la France ne bougera pas tout au long de l'affaire et Carlos Ghosn devra se battre seul face au complot. Au bout de 130 jours, il parvient finalement à obtenir une mise en liberté sous caution, qu'il va utiliser pour organiser une évasion spectaculaire, après Noël, le 29 décembre 2019. L'exfiltration – très risquée – est organisée par Michael Taylor, ancien des services spéciaux US. Caché dans une caisse d'instrument de musique, Carlos Ghosn parvient à s'enfuir à bord d'un petit avion privé, via la Chine et Istanbul vers le Liban, où il est accueilli de grand cœur par ses compatriotes scandalisés par cette histoire de fou.

Pour faire le bilan et mesurer les dégâts, il faut revenir brièvement sur l'histoire de Carlos Ghosn. En 1996, Louis Schweitzer, ancien conseiller de Mitterrand, parachuté PDG de Renault alors qu'il n'y connaît rien, conduit l'entreprise à une perte historique de 5,2 milliards de francs. Brillant, intelligent, direct, spécialiste reconnu venu de Michelin, Carlos Ghosn, le « cost killer  », appelé à la rescousse, opère un redressement radical (12 milliards de bénéfices) avant de susciter l'alliance de Renault avec Nissan, au bord de la faillite, qu'il redresse aussi de façon spectaculaire en quelques années (annulant une dette de 20 milliards de $ pour passer à + 15 milliards). Dans cette dynamique, il fait de Renault-Nissan-Mitsubishi le n°1 mondial dès 2017 ! Il est alors une super star. On le dit « impressionnant », « absolument brillant », « sans égal ». On en fait un héros de mangas. Des livres sont publiés sur ses techniques de management. Sa cousine, de passage au Japon, témoigne qu'à son entrée au restaurant, tout le monde s'est levé et a applaudi : « J'en avais des frissons. » 

Tout cela est aujourd'hui par terre. Dès l'arrestation de Carlos Ghosn, les actions Renault et Nissan dégringolent. Renault et Nissan renouent depuis avec les pertes. « Bien sûr, je suis une victime, mais il n'y a pas que moi », explique ainsi Carlos Ghosn. « Nissan en tant qu'entreprise est une victime et Renault en tant qu'entreprise est une victime. Tous les petits génies qui ont monté cette opération, j'espère qu'un jour ils devront rendre des comptes. » 

La sélection
L'évadé : l'étrange affaire Carlos Ghosn
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1 commentaire
Philippe
Le 03/08/2023 à 22:46
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