Société
« Cancel culture » : le retour du bannissement, du pilori et de l’exécution publique
Les réseaux sociaux ont permis à de vieilles pratiques de revenir en force dans les sociétés occidentales. Il est frappant de constater que les victimes innocentes de la « cancel culture » ont tendance, à la manière des accusés dans les procès staliniens, à implorer le pardon. Le philosophe et historien néerlandais, Christophe Van Eecke, s’interroge sur la manière de casser ce cycle infernal (voir son essai pour Quillette ci-dessous). Hier comme aujourd’hui, physique ou psychologique, le spectacle de l’humiliation publique poursuit le même objectif : imposer une conformité politique ou idéologique.
Le spectacle de l’exécution publique
Pour être exemplaire, toute exécution de peine dans l’Europe préindustrielle était scénarisée et le condamné jouait un rôle central. On attendait de lui l’acceptation humble de la peine dans une société qui acceptait la mise en scène de la souffrance. La repentance… Voilà un premier lien avec la « culture de l’annulation » d’aujourd’hui. Un condamné qui refuse de reconnaître sa faute pose le risque de s’attirer la sympathie de ses congénères. De nos jours, une confession publique est exigée, donc une acceptation de la faute. Ce dénouement est capital car il valide la vision du monde que les accusateurs cherchent à imposer. Mais l’acceptation de l’humiliation publique n’est pas suffisante. Infliger la souffrance (psychologique de nos jours), montrer combien la société tolère un tel spectacle (comme le prouve le partage jubilatoire des images via les réseaux sociaux) sont des avertissements pour toute une communauté.
Casser le corps
On a torturé les corps pour obtenir des aveux. Faire souffrir permet d’atteindre l’âme du supplicié. Il est d’abord placé dans une situation d’inconfort pour le couper du monde extérieur. Ensuite, la douleur extrême rend son propre corps hostile : il ne peut y échapper et elle envahit tout l’être jusqu’à emprisonner l’esprit. « L’annulation publique » coupe la victime du corps social auquel elle appartient. Hannah Arendt a prévenu dans « Les origines du totalitarisme » : l’isolement et la destruction de tout lien social permet à l’état totalitaire d’imposer sa loi. Le silence des « amis » et la hargne de la foule virtuelle bannit la victime aux limites fragiles de sa propre personne.
Eteindre la voix
La voix du supplicié est possédée par son bourreau. Déformée par les cris, elle s’exprime sous l’effet de la douleur infligée. Les confessions sont ensuite enregistrées pour être utilisées comme des pièces à conviction… La victime de harcèlement sur les réseaux sociaux abandonne sa voix dès qu’elle s’excuse. Seule la docilité face à l’accusation semble offrir un répit qui est un piège : l’excuse publique déchaîne la vindicte et permet d’intimider tous les spectateurs. La confiscation de la voix est un outil qui permet d’isoler plus complètement la personne visée.
Subvertir la vérité
La torture psychologique a donc un objectif : forcer la victime à reconnaître sa faute imaginaire. C’est une étape obligée pour imposer à la foule une vision du monde déconnectée de la réalité. Le concept de « racisme structurel », considéré comme vérité historique pour l’extrême-gauche, n’est en rien vérifié par une analyse des inégalités raciales. De même, la « théorie du genre », qui abolit la réalité du sexe biologique pour ne voir qu’une construction sociale, est contredite pour les faits empiriquement constatés… Hannah Arendt expliquait : « le sujet idéal d’un régime totalitaire n’est pas le disciple convaincu, mais celui qui ne fait plus la différence entre la réalité et la fiction. » C’est un monde où toutes les valeurs sont relatives, sauf celles imposées par l’idéologie dominante. La censure imposée à des intervenants dans l’université démontre le pouvoir de la « cancel culture » aux mains d’une petite minorité. Comme le pendu se balançant au bout de sa corde, le nom du « banni » circule en boucle sur les réseaux sociaux.
Détruire la société
L’arbitraire est l’arme ultime. L’anathème est jeté sans logique apparente. N’importe qui peut « détruire » n’importe qui avec un tweet. On passe d’une personne totalement inconnue (par ex. Mila en France) qui est brocardée et menacée à une personnalité publique qu’on descend de son piédestal pour un infime écart. La lâcheté inhérente à la torture se retrouve dans l’humiliation publique : elle interdit toute défense.
Imposer un nouvel ordre
L’histoire est souvent réécrite par le vainqueur. Si la victime « d’annulation » se répand en excuses, elle confirme la conception du monde de ses bourreaux. Son nom infamé, son visage contrit démontrent à la meute hurlante que leur idéologie est vraie puisqu’elle s’inscrit dans le réel.
Van Eecke reprend l’exhortation d’Hannah Arendt dans « L’humaine condition». « Le miracle qui sauve le monde » de ce danger totalitaire est notre liberté : celle qui nous donne le courage de refuser de s’excuser face à une accusation injuste. Celle aussi qui nous interdit de rejoindre la masse qui demande la mort…
Le spectacle de l’exécution publique
Pour être exemplaire, toute exécution de peine dans l’Europe préindustrielle était scénarisée et le condamné jouait un rôle central. On attendait de lui l’acceptation humble de la peine dans une société qui acceptait la mise en scène de la souffrance. La repentance… Voilà un premier lien avec la « culture de l’annulation » d’aujourd’hui. Un condamné qui refuse de reconnaître sa faute pose le risque de s’attirer la sympathie de ses congénères. De nos jours, une confession publique est exigée, donc une acceptation de la faute. Ce dénouement est capital car il valide la vision du monde que les accusateurs cherchent à imposer. Mais l’acceptation de l’humiliation publique n’est pas suffisante. Infliger la souffrance (psychologique de nos jours), montrer combien la société tolère un tel spectacle (comme le prouve le partage jubilatoire des images via les réseaux sociaux) sont des avertissements pour toute une communauté.
Casser le corps
On a torturé les corps pour obtenir des aveux. Faire souffrir permet d’atteindre l’âme du supplicié. Il est d’abord placé dans une situation d’inconfort pour le couper du monde extérieur. Ensuite, la douleur extrême rend son propre corps hostile : il ne peut y échapper et elle envahit tout l’être jusqu’à emprisonner l’esprit. « L’annulation publique » coupe la victime du corps social auquel elle appartient. Hannah Arendt a prévenu dans « Les origines du totalitarisme » : l’isolement et la destruction de tout lien social permet à l’état totalitaire d’imposer sa loi. Le silence des « amis » et la hargne de la foule virtuelle bannit la victime aux limites fragiles de sa propre personne.
Eteindre la voix
La voix du supplicié est possédée par son bourreau. Déformée par les cris, elle s’exprime sous l’effet de la douleur infligée. Les confessions sont ensuite enregistrées pour être utilisées comme des pièces à conviction… La victime de harcèlement sur les réseaux sociaux abandonne sa voix dès qu’elle s’excuse. Seule la docilité face à l’accusation semble offrir un répit qui est un piège : l’excuse publique déchaîne la vindicte et permet d’intimider tous les spectateurs. La confiscation de la voix est un outil qui permet d’isoler plus complètement la personne visée.
Subvertir la vérité
La torture psychologique a donc un objectif : forcer la victime à reconnaître sa faute imaginaire. C’est une étape obligée pour imposer à la foule une vision du monde déconnectée de la réalité. Le concept de « racisme structurel », considéré comme vérité historique pour l’extrême-gauche, n’est en rien vérifié par une analyse des inégalités raciales. De même, la « théorie du genre », qui abolit la réalité du sexe biologique pour ne voir qu’une construction sociale, est contredite pour les faits empiriquement constatés… Hannah Arendt expliquait : « le sujet idéal d’un régime totalitaire n’est pas le disciple convaincu, mais celui qui ne fait plus la différence entre la réalité et la fiction. » C’est un monde où toutes les valeurs sont relatives, sauf celles imposées par l’idéologie dominante. La censure imposée à des intervenants dans l’université démontre le pouvoir de la « cancel culture » aux mains d’une petite minorité. Comme le pendu se balançant au bout de sa corde, le nom du « banni » circule en boucle sur les réseaux sociaux.
Détruire la société
L’arbitraire est l’arme ultime. L’anathème est jeté sans logique apparente. N’importe qui peut « détruire » n’importe qui avec un tweet. On passe d’une personne totalement inconnue (par ex. Mila en France) qui est brocardée et menacée à une personnalité publique qu’on descend de son piédestal pour un infime écart. La lâcheté inhérente à la torture se retrouve dans l’humiliation publique : elle interdit toute défense.
Imposer un nouvel ordre
L’histoire est souvent réécrite par le vainqueur. Si la victime « d’annulation » se répand en excuses, elle confirme la conception du monde de ses bourreaux. Son nom infamé, son visage contrit démontrent à la meute hurlante que leur idéologie est vraie puisqu’elle s’inscrit dans le réel.
Van Eecke reprend l’exhortation d’Hannah Arendt dans « L’humaine condition». « Le miracle qui sauve le monde » de ce danger totalitaire est notre liberté : celle qui nous donne le courage de refuser de s’excuser face à une accusation injuste. Celle aussi qui nous interdit de rejoindre la masse qui demande la mort…