Les BRICS+ : la revanche des colonisés sur l'Occident
Le 16e sommet des BRICS vient de finir à Kazan, en Russie, et consacre la montée en puissance du « Sud global » face à l'Occident. 2024 marque un tournant majeur avec l'arrivée des Émirats Arabes Unis, de l'Égypte, de l'Iran et de l'Éthiopie. Les BRICS deviennent les BRICS+… L'Arabie Saoudite a été officiellement invitée et 59 pays ont exprimé leur souhait de rejoindre le groupe – dont la Turquie, membre de l'OTAN. L'intérêt de pays d'Amérique Latine – y compris d'alliés traditionnels de Washington comme la Colombie – démontre le recul de l'influence de la première puissance mondiale… Tout comme le ralliement d'acteurs régionaux en Asie du Sud-Est (la Malaisie, l'Indonésie et la Thaïlande) à un groupe où figure la Chine. Même Antonio Guterres, Secrétaire des Nations Unies, a fait le déplacement en Russie.
Les échanges économiques au sein des BRICS+ devraient atteindre les 500 milliards de dollars en 2024. Le projet central de ces pays est d'attaquer la clé de voûte de l'empire américain en dédollarisant leurs économies. C'est au cœur du projet des BRICS : construire un nouvel ordre financier alternatif en dehors du FMI et loin du dollar US. Avec une plateforme multilatérale de paiements électroniques (« BRICS Bridge ») destinée à améliorer le système d'échanges entre membres. Et une « Nouvelle Banque de Développement BRICS+ », sous la direction de l'ancienne Présidente brésilienne Dilma Rousseff, affiche l'ambition de devenir la « banque centrale » du « Grand Sud » selon le journal mexicain La Jornada (voir en lien).
Les ambitions sont aussi politiques : Vladimir Poutine a proposé de créer un parlement BRICS, ce qui pourrait changer les équilibres au sein des Nations Unies. Sur le plan de la sécurité, les BRICS ont tissé des liens avec l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai) fondée en 2001 par la Chine, la Russie, les anciennes républiques soviétiques d'Asie Centrale – rejointes par l'Inde et le Pakistan en 2016, l'Iran en 2021 et la Biélorussie en 2024. En Europe, la Serbie a exprimé son souhait de faire partie des BRICS+ tout en restant candidate à l'entrée dans l'UE. Les pays d'Europe centrale voient dans les BRICS un partenaire majeur pour renouer un dialogue avec l'Afrique. Un dialogue respectueux des identités culturelles, débarrassé des velléités universalistes que veulent imposer les diplomaties américaine et vassales…
Car le point commun entre la plupart des pays membres (et des candidats déclarés) est leur statut d'anciennes colonies des pays occidentaux. C'est la revanche du Tiers-Monde. Leur union génère un grand dynamisme puisque la part de la population mondiale des BRICS+ pourrait passer de 42 % à 75 % ! Les événements récents en Ukraine et en Palestine ont contribué également à conduire de nombreux candidats à rejeter la vision unipolaire de l'OTAN, qui condamne la Russie et soutient Israël alors que le droit international a été violé par ces deux pays.
L'ascension des BRICS met en exergue une contradiction occidentale : prétendre imposer en même temps des valeurs universelles et le communautarisme. On se souvient des ambassades américaines arborant le drapeau arc-en-ciel partout dans le monde. De nombreux pays africains ont été révulsés par ce qu'ils considèrent comme une forme de colonialisme idéologique. Un géant comme l'Inde n'a pas oublié la politique communautariste des Britanniques pour contrôler le sous-continent. En encourageant Hindous et Musulmans dès la fin du XVIIIe siècle à appliquer leurs propres règles pour administrer leurs communautés, ils ont creusé des fossés dans une société construite sur une pyramide complexe de castes. Pour le meilleur et pour le pire, les BRICS cherchent à s'imposer en tant que nations.
La récente victoire de Donald Trump va influer sur le développement des BRICS. Élu pour devenir le 47e Président américain au terme d'un raz-de-marée qui lui assure le soutien du Congrès, son programme fondé sur "America First", pourrait avoir des effets contradictoires. Premièrement, cibler prioritairement l'Iran et la Chine, comme lors de son premier mandat, pourrait pousser ces pays à poursuivre leurs efforts pour construire une coalition concurrente pour se protéger des mesures commerciales coercitives de Washington. D'un autre côté, la volonté affichée de trouver un compromis en Ukraine pourrait encourager la Russie à réchauffer ses relations avec l'Occident, ouvrant une brèche au sein des BRICS. Concernant Israël et la Palestine, si Trump est un soutien clair de Netanyahu, il est aussi l'architecte des accords d'Abraham en 2020 qui ont permis un rapprochement historique entre l'Etat Hébreu et de nombreux pays arabes. En clair, cette politique pragmatique, faite de deals commerciaux, de pacification et parfois de coercition ainsi que le refus d'exporter à tout prix le wokisme à la mode en Occident, ne devrait pas remettre en question la dynamique à l'œuvre autour des BRICS. Mais elle devrait favoriser une relation moins hostile avec une partie du monde tentée « par défaut » par un rapprochement avec les régimes totalitaires en Chine et en Iran...