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Le Brésil : un laboratoire pour la censure

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 20/09/2024 - Illustration : Shutterstock
Les autorités brésiliennes ont pris les sociétés X et Starlink pour cibles. Derrière des prétextes procéduriers, c'est la liberté d'expression qui est visée en interdisant aux nostalgiques de l'ancien Président Bolsonaro l'utilisation du réseau social contrôlé par Elon Musk. Le plus inquiétant : cette offensive de la censure au Brésil est applaudie par le gouvernement américain...

“Obrigado Brasil !” Keith Ellison, le ministre de la Justice américain (« Attorney General ») a communiqué son enthousiasme sur les réseaux sociaux… Que vaut aux autorités brésiliennes un remerciement venant du premier magistrat à Washington ? Le Tribunal suprême général (STF) a confirmé la décision d'un juge brésilien de bannir le réseau social X du pays à la fin du mois d'août… Brasilia avait envoyé un coup de semonce en exigeant d'Elon Musk le blocage de 140 comptes sur X dont les auteurs étaient coupables de soutenir l'ancien président Jair Bolsonaro. Ces comptes cherchaient à propager des « discours de haine » selon le vocabulaire orwellien communément utilisé par les pouvoirs de gauche pour réduire au silence toute opposition. Le refus d'Elon Musk, propriétaire du réseau X (anciennement Twitter) et qui s'est érigé en protecteur de la liberté d'expression, a conduit le gouvernement socialiste de Lula da Silva à interdire la plateforme dans tout le pays. Pire, tout Brésilien qui serait pris à utiliser X par le biais d'un VPN (« Virtual Private Network » : qui permet de se brancher sur internet via un serveur localisé à l'extérieur du pays et qui masque l'identité de l'utilisateur) est passible d'une amende de 9 000 dollars US par jour ! La Justice brésilienne (étroitement contrôlée par le gouvernement fédéral) vient de saisir près de 3,3 millions de dollars US sur les comptes de X et de Starlink (le service internet par satellite de Musk) pour assurer le paiement d'amendes.

On aurait pu s'attendre à une réaction américaine hostile – Washington n'hésite pas à monter aux créneaux dès que ses intérêts économiques sont visés. L'administration de Joe Biden a en effet réagi – par Keith Ellison – en remerciant les Brésiliens… Or, cette offensive contre Musk présage d'une guerre impitoyable si l'actuelle Vice-Présidente Kamala Harris devait succéder à Joe Biden : les Démocrates américains sont aujourd'hui favorables à l'instauration d'une censure de tous les médias qui n'ont pas la décence de pratiquer la liberté d'expression dans le strict périmètre permis par l'État… Kamala Harris avait – dès 2019 – appelé Twitter à suspendre Donald Trump. Son colistier Tim Walz est sur la même ligne. Il a déclaré sur l'antenne de MSNBC en 2022 que le « Premier Amendement ne garantissait pas une liberté d'expression dans le cas de désinformation ou de discours haineux ». Ce qu'a dit celui qui pourrait devenir le Vice-Président américain à partir de janvier prochain est contraire à la Constitution. La Cour suprême américaine a plusieurs fois confirmé que ce Premier Amendement protégeait la liberté d'expression dans tous les cas – sauf les appels à la violence, ou la diffamation

Le cas brésilien est un coin enfoncé dans un principe démocrate fondamental et l'accession au pouvoir de Kamala Harris et de Tim Walz pourrait généraliser cette pratique aux relents totalitaires. Car la « lutte contre la haine » est un déguisement facile pour faire taire toute opposition – sur des bases par définition subjectives puisque la haine est un sentiment. La liberté d'expression est un pilier qui soutient tout régime démocratique car elle garantit le droit d'exister aux opinions minoritaires – puisque c'est la majorité qui est censée gouverner. Fondamentalement (comme le rappelle Greg Lukianoff dans cet essai pour Quillette) interdire le « discours de haine » pour éviter la violence est absurde. Permettre la liberté d'expression – même violente dans ses mots – est justement le moyen d'éviter un recours aux actes violents. On donne une voie de résolution d'un conflit par la dispute plutôt que par l'élimination de l'adversaire… Sigmund Freud a popularisé une phrase d'un auteur inconnu : « Le premier homme à avoir jeté une insulte à son ennemi plutôt qu'une pique fut le fondateur de la civilisation ».

Pour contrer la « loi du plus fort », le système démocratique permet à la majorité d'établir des lois – lesquelles protègent les positions majoritaires au moins jusqu'à ce qu'elles deviennent minoritaires. La « liberté d'expression » protège toutes les opinions – même minoritaires. Laisser un gouvernement censurer, c'est donner aux puissants encore plus de puissance – c'est-à-dire nier les fondements démocratiques.

L'élection présidentielle américaine de novembre revêt donc une importance particulière tant le risque est grand de basculer dans un monde post-démocratique. Car la cible mise sur les intérêts d'Elon Musk, quoi qu'on pense du personnage par ailleurs, vient de ce qu'il refuse de laisser des gouvernements contrôler ce qui se passe sur son réseau X. Le philosophe britannique John Stuart Mill (1806 – 1873) avait justifié l'importance de la liberté d'expression : 1. Si l'on a tort, il est essentiel de permettre aux autres de nous corriger 2. Si l'on n'a que partiellement raison, des avis contraires sont essentiels pour avoir une idée plus précise de la vérité 3. Dans le rare cas où l'on a parfaitement raison, laisser les autres disputer une vérité permet d'en approfondir notre compréhension et développer une argumentation pour la diffuser plus efficacement…


La sélection
Brazil’s socialist government shows how Harris would attack free speech
Lire l'article sur : Washington Examiner
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