International
Bir(manie) médiatique
L’avez-vous remarqué ? Il y a une routine qui fait qu’on parle toujours de certains sujets de la même façon. Cela s’appelle un cliché et remonte au moins à Margaret Thatcher. Le Premier ministre britannique (de 1979 à 1990) en était devenu un cas d’école. Chaque fois que des journalistes franchouillards parlaient d’elle, ils ironisaient bêtement sur sa fermeté et sa pingrerie. Un cliché bétonné par la chanson de Renaud Miss Maggie (1985) et les saillies ordurières de Jacques Chirac.
L’Angleterre, il est vrai, est une « nation de boutiquiers », confiait Napoléon. Ses penseurs ne sont que des économistes. Sa colonisation fut brutale et cynique, ce qui est peu connu et rarement dénoncé. Pourtant, les effets se font encore sentir, comme en Birmanie, où le British Raj, devant l’hostilité bouddhiste, importa une main d’œuvre indienne et musulmane (les Rohingyas).
La Birmanie n’échappe pas non plus au cliché médiatique. Les chaînes d’info s’aventurent peu dans la jungle mentale des sociétés exotiques. Et puis ce pays a une forme bizarre. On va en Birmanie si on est missionnaire, trafiquant ou si on s’appelle Largo Winch. Les deux albums mythiques que Jean van Hamme consacra au Myanmar (La Forteresse de Makiling et L'Heure du Tigre) sont les seules références du grand public (à ma connaissance). D'ailleurs, qui va en Birmanie ? Une clientèle élitiste de passionnés plus ou moins trekkeurs. Alors, comment parler de ce qui s’y passe quand on ne sait rien et qu’on s’en satisfait ? C’est très simple : on se raccroche à une vision formatée, prévisible, rassurante, déclinable à n’importe quelle région du monde.
Ainsi, le 1er février, un coup d’État militaire renversait le gouvernement civil d'Aung San Suu Kyi. Si ce nom impossible dissuade le jeune pigiste, c'est le seul que produit ce régime autiste. Il se prononce à peu près « anne sanne souchi » mais n’allez pas en faire tout un plat japonais… Son père (Aung San) fraya certes avec les Nippons pendant la guerre mais Tokyo se servit de lui et des « trente camarades » (nom donné au noyau fondateur de l’armée indépendantiste) pour contrôler la « route birmane » entre l’Inde et la Chine. Assassiné en 1947 à 32 ans, Aung San demeure le père de l’indépendance. Rappelons qu’il était général et que sa fille, prix Nobel de la paix 1991, est donc fille de militaire nationaliste. Ce qui ne l'empêchait pas de porter une vision prophétique quand il considérait que « si la démocratie échouait, la Birmanie deviendrait un objet de mépris ».
Bref, aujourd’hui, seule Aung San Suu Kyi et son image iconique de dissidente permettent de raconter une histoire sur ce pays. Tout le reste se ramène à l’étiquette de « junte ». Ce mot mérite un commentaire car la Birmanie en a l’exclusivité (avec parfois la Thaïlande). Pour le Chili de Pinochet ou l’Argentine de Videla, les media parlaient de « dictature militaire ». L’URSS de Brejnev n’était jamais qualifiée de junte, pas plus que le régime nord-coréen, vietnamien, turc, égyptien ou algérien où l’armée est tout autant un secteur économique qu’un pilier sécuritaire.
Alors pourquoi ce cliché de « junte birmane » ?
Une seule explication à mes yeux : junte et jungle sont deux mots qui se ressemblent et qui identifient ce pays sauvage impénétrable (précisons qu’en bon français, on devrait dire « jongle » et « jonte » comme punch ou acupuncture). La junte rend le régime militaire infréquentable et la figure de l’opposition forcément désirable. On aimerait aller au-delà. La Birmanie est un État récent, fragile, aussi éclaté d’un point de vue ethnique que distendu sur le plan géographique. C'est une mosaïque que n’est ni la Corée du nord ni l’Algérie, le régime FLN n'étant que très rarement ravalé au rang infamant de junte. Le pouvoir birman ne pense pouvoir se maintenir qu’au prix d’une lutte contre les périphéries (on se souvient de la guérilla karène dont les combats sensibilisaient le milieu catholique droitier). Cette réalité n’excuse pas la répression, évidemment, ni tous les trafics auxquels se livre une mafia satrapique, en particulier avec le commerce du jade.
Tous les clichés médiatiques ne sont pas malvenus. Lundi dernier, on vit cette religieuse xavière, sœur Ann Roza Nu Tawng, s’agenouiller devant les forces de l’ordre birmanes. Les bras en croix et pour la seconde fois, elle offrait son habit blanc aux canons. Chose inouïe : les hommes casqués et armés s’agenouillèrent aussi ! Les journalistes n'en revenaient pas et quand ils tiennent un beau cliché, ils le disent haut et fort. Chaque fois, on a droit à la phrase : « la photo a déjà fait le tour du monde ». France Info parla d’un « éphémère moment de paix » et de « quelques minutes de communion ». Cette remarque change de la manière dont le service public traite la minorité catholique en France – qui n'a pas la chance d'être birmane ni d'avoir vu une de ses religieuses s'agenouiller entre la police et les Gilets jaunes. Bref, après le pape à Mossoul, l’Église gagna encore une belle bataille de l’image. Mais très loin d’ici.
L’Angleterre, il est vrai, est une « nation de boutiquiers », confiait Napoléon. Ses penseurs ne sont que des économistes. Sa colonisation fut brutale et cynique, ce qui est peu connu et rarement dénoncé. Pourtant, les effets se font encore sentir, comme en Birmanie, où le British Raj, devant l’hostilité bouddhiste, importa une main d’œuvre indienne et musulmane (les Rohingyas).
La Birmanie n’échappe pas non plus au cliché médiatique. Les chaînes d’info s’aventurent peu dans la jungle mentale des sociétés exotiques. Et puis ce pays a une forme bizarre. On va en Birmanie si on est missionnaire, trafiquant ou si on s’appelle Largo Winch. Les deux albums mythiques que Jean van Hamme consacra au Myanmar (La Forteresse de Makiling et L'Heure du Tigre) sont les seules références du grand public (à ma connaissance). D'ailleurs, qui va en Birmanie ? Une clientèle élitiste de passionnés plus ou moins trekkeurs. Alors, comment parler de ce qui s’y passe quand on ne sait rien et qu’on s’en satisfait ? C’est très simple : on se raccroche à une vision formatée, prévisible, rassurante, déclinable à n’importe quelle région du monde.
Ainsi, le 1er février, un coup d’État militaire renversait le gouvernement civil d'Aung San Suu Kyi. Si ce nom impossible dissuade le jeune pigiste, c'est le seul que produit ce régime autiste. Il se prononce à peu près « anne sanne souchi » mais n’allez pas en faire tout un plat japonais… Son père (Aung San) fraya certes avec les Nippons pendant la guerre mais Tokyo se servit de lui et des « trente camarades » (nom donné au noyau fondateur de l’armée indépendantiste) pour contrôler la « route birmane » entre l’Inde et la Chine. Assassiné en 1947 à 32 ans, Aung San demeure le père de l’indépendance. Rappelons qu’il était général et que sa fille, prix Nobel de la paix 1991, est donc fille de militaire nationaliste. Ce qui ne l'empêchait pas de porter une vision prophétique quand il considérait que « si la démocratie échouait, la Birmanie deviendrait un objet de mépris ».
Bref, aujourd’hui, seule Aung San Suu Kyi et son image iconique de dissidente permettent de raconter une histoire sur ce pays. Tout le reste se ramène à l’étiquette de « junte ». Ce mot mérite un commentaire car la Birmanie en a l’exclusivité (avec parfois la Thaïlande). Pour le Chili de Pinochet ou l’Argentine de Videla, les media parlaient de « dictature militaire ». L’URSS de Brejnev n’était jamais qualifiée de junte, pas plus que le régime nord-coréen, vietnamien, turc, égyptien ou algérien où l’armée est tout autant un secteur économique qu’un pilier sécuritaire.
Alors pourquoi ce cliché de « junte birmane » ?
Une seule explication à mes yeux : junte et jungle sont deux mots qui se ressemblent et qui identifient ce pays sauvage impénétrable (précisons qu’en bon français, on devrait dire « jongle » et « jonte » comme punch ou acupuncture). La junte rend le régime militaire infréquentable et la figure de l’opposition forcément désirable. On aimerait aller au-delà. La Birmanie est un État récent, fragile, aussi éclaté d’un point de vue ethnique que distendu sur le plan géographique. C'est une mosaïque que n’est ni la Corée du nord ni l’Algérie, le régime FLN n'étant que très rarement ravalé au rang infamant de junte. Le pouvoir birman ne pense pouvoir se maintenir qu’au prix d’une lutte contre les périphéries (on se souvient de la guérilla karène dont les combats sensibilisaient le milieu catholique droitier). Cette réalité n’excuse pas la répression, évidemment, ni tous les trafics auxquels se livre une mafia satrapique, en particulier avec le commerce du jade.
Tous les clichés médiatiques ne sont pas malvenus. Lundi dernier, on vit cette religieuse xavière, sœur Ann Roza Nu Tawng, s’agenouiller devant les forces de l’ordre birmanes. Les bras en croix et pour la seconde fois, elle offrait son habit blanc aux canons. Chose inouïe : les hommes casqués et armés s’agenouillèrent aussi ! Les journalistes n'en revenaient pas et quand ils tiennent un beau cliché, ils le disent haut et fort. Chaque fois, on a droit à la phrase : « la photo a déjà fait le tour du monde ». France Info parla d’un « éphémère moment de paix » et de « quelques minutes de communion ». Cette remarque change de la manière dont le service public traite la minorité catholique en France – qui n'a pas la chance d'être birmane ni d'avoir vu une de ses religieuses s'agenouiller entre la police et les Gilets jaunes. Bref, après le pape à Mossoul, l’Église gagna encore une belle bataille de l’image. Mais très loin d’ici.