Culture
Belmondo le magnifique ou la puissance du mâle
C’est un peu le Johnny du grand écran qui vient de nous quitter, un mélange de Lino Ventura – le sourire en plus – et de Louis de Funès – tout en muscles : Jean-Paul Belmondo, alias « Bébel », était « l’acteur le plus fantaisiste, le plus attachant, le plus populaire du cinéma français », écrit Bertrand de Saint-Vincent dans un éditorial judicieusement titré « Bébel, la vie ». Oui, avec Belmondo, la vie semblait plus belle et paraissait surtout plus libre.
Pourquoi donc ?
Esquissons trois points :
« Jean-Paul ne prenait jamais rien au sérieux, sauf la vie. Il me faisait rire tout le temps, comme un enfant », confie Françoise Fabian qui le connaissait depuis ses 18 ans. Une forme de désinvolture le caractérisait – qui lui valut l’inimitié de ses juges quand, à sa sortie du Conservatoire, leur simple accessit lui barrait la route de la Comédie-Française. « Il entra au cinéma comme un gangster dans une banque », note Bertrand de Saint-Vincent. Belmondo se moquait-il des codes ? Françoise Fabian s’en souvient : « Je lui disais "Quand même, comment tu fais, tu n’as pas besoin de te concentrer ?" et il répondait "Ça n’a rien d’important, c’est du cinéma". » Issu d’une famille d’artistes, « Bébel » venait aussi d'un milieu bourgeois que son style de titi parisien gouailleur ne reflète pas du tout. Passé par les meilleures écoles de la rive gauche, il n’était pas programmé pour se suspendre en caleçon à un hélicoptère dans le ciel vénitien. Belmondo ne prenait pas non plus au sérieux la nomenklatura du cinéma, ses tartufferies théâtrales. Il refusa le seul césar dont elle daigna le récompenser pour Itinéraire d'un enfant gâté (1988). L'homme n'avait aucun égo, ce qui lui permit d'être l'un des rares acteurs français de stature internationale. L'esprit de troupe, né au Conservatoire, l'anima toute sa vie. Fidèle en amitié, seul l'intéressait l'amour du public dont il conserva la sympathie jusqu'à la fin. Modeste, il ne prétendait rien lui inculquer. En ce sens Belmondo était insaisissable et inclassable. Dans la novlangue managériale, ce genre de profil est perçu comme « ingérable », et donc à éliminer.
Qu’il soit flic ou voyou, Belmondo ressemblait à un Cyrano ayant troqué sa cape pour un blouson : il n’était pas beau, au sens où l’est Alain Delon, mais dégageait une grande chaleur et cachait un grand cœur. Front large, nez fort, lèvres gourmandes. « En Belmondo fermentait l’indéfinissable esprit français », souligne le journaliste Philippe Delaroche. Kesako ? C’est un mélange de forfanterie, d’irrévérence et de générosité. À cœur vaillant rien d’impossible : avec lui, aucune situation n’est désespérée, même s’il meurt à la fin dans À bout de souffle (1960) en s’écriant « c’est dégueulasse ». Dans la France des années 60 – dont on dit qu’elle s’ennuie – il surgit par la verve et le geste. Belmondo est incapable de nous rendre dépressif. C’est l’antidote à Houellebecq. « Il appelait au bonheur, comme le muezzin appelle à la prière », note Philippe Delaroche. « Bébel » fleurait une époque plus légère et plus insouciante, malgré les épreuves comme la guerre d’Algérie où il fut mobilisé. Quantité de scènes illustrent un bonheur simple fait de frasques puériles et d’équipées champêtres. Citons seulement Pierrot le Fou (1965), ce road trip vers le sud avec Anna Karina. Le film de Jean-Luc Godard préfigura l’errance des Valseuses, la vulgarité en moins. Une tare dont, à ma connaissance, l’acteur sut toujours se tenir éloigné.
Enfin, son physique de boxeur élégant en faisait un homme sûr de lui et dominateur. Belmondo montre que les jolies femmes ne sont pas réservées aux beaux garçons, qu’elles sont à prendre à qui sait les ravir à l’appétit des autres. Même interprétées au second degré, ses attitudes, sublimées par son torse, suintent la puissance du mâle, comme dans Le Magnifique (1973), parodie de James Bond. De bons dialogues sculptent cette image dans le texte : « Dis donc, comment on dit p’tit con dans sa langue ? », demande-t-il à Hélène (Nicole Calfan) dans Le Casse (1971). « Bébel » « emballe » et souvent de manière animale et expéditive. On ne traite plus les femmes ainsi à l’écran, que ce soit pour les embrasser, les emmener ou les « corriger ». De nos jours, le flambeur est cramé. Le roi de la gifle représente tout ce qui est dévalorisé : l’égo, l’audace, l'ascendant. Certaines scènes théâtralisées expriment à outrance une invincibilité masculine, comme dans Le Magnifique, où, attaqué par une meute d’assaillants, « Bébel » le désinvolte continue à téléphoner en souriant. Les aléas n’ont pas de prises sur le héros. On pense à Gérard Depardieu et à Jean Dujardin qui, dans ce registre, perpétuent cette manière que l’homme a de se jouer de ce qui lui arrive et de le prendre comme un défi.
Belmondo, un vaccin antilopette ? Oui. Dès la première dose.
Pourquoi donc ?
Esquissons trois points :
« Jean-Paul ne prenait jamais rien au sérieux, sauf la vie. Il me faisait rire tout le temps, comme un enfant », confie Françoise Fabian qui le connaissait depuis ses 18 ans. Une forme de désinvolture le caractérisait – qui lui valut l’inimitié de ses juges quand, à sa sortie du Conservatoire, leur simple accessit lui barrait la route de la Comédie-Française. « Il entra au cinéma comme un gangster dans une banque », note Bertrand de Saint-Vincent. Belmondo se moquait-il des codes ? Françoise Fabian s’en souvient : « Je lui disais "Quand même, comment tu fais, tu n’as pas besoin de te concentrer ?" et il répondait "Ça n’a rien d’important, c’est du cinéma". » Issu d’une famille d’artistes, « Bébel » venait aussi d'un milieu bourgeois que son style de titi parisien gouailleur ne reflète pas du tout. Passé par les meilleures écoles de la rive gauche, il n’était pas programmé pour se suspendre en caleçon à un hélicoptère dans le ciel vénitien. Belmondo ne prenait pas non plus au sérieux la nomenklatura du cinéma, ses tartufferies théâtrales. Il refusa le seul césar dont elle daigna le récompenser pour Itinéraire d'un enfant gâté (1988). L'homme n'avait aucun égo, ce qui lui permit d'être l'un des rares acteurs français de stature internationale. L'esprit de troupe, né au Conservatoire, l'anima toute sa vie. Fidèle en amitié, seul l'intéressait l'amour du public dont il conserva la sympathie jusqu'à la fin. Modeste, il ne prétendait rien lui inculquer. En ce sens Belmondo était insaisissable et inclassable. Dans la novlangue managériale, ce genre de profil est perçu comme « ingérable », et donc à éliminer.
Qu’il soit flic ou voyou, Belmondo ressemblait à un Cyrano ayant troqué sa cape pour un blouson : il n’était pas beau, au sens où l’est Alain Delon, mais dégageait une grande chaleur et cachait un grand cœur. Front large, nez fort, lèvres gourmandes. « En Belmondo fermentait l’indéfinissable esprit français », souligne le journaliste Philippe Delaroche. Kesako ? C’est un mélange de forfanterie, d’irrévérence et de générosité. À cœur vaillant rien d’impossible : avec lui, aucune situation n’est désespérée, même s’il meurt à la fin dans À bout de souffle (1960) en s’écriant « c’est dégueulasse ». Dans la France des années 60 – dont on dit qu’elle s’ennuie – il surgit par la verve et le geste. Belmondo est incapable de nous rendre dépressif. C’est l’antidote à Houellebecq. « Il appelait au bonheur, comme le muezzin appelle à la prière », note Philippe Delaroche. « Bébel » fleurait une époque plus légère et plus insouciante, malgré les épreuves comme la guerre d’Algérie où il fut mobilisé. Quantité de scènes illustrent un bonheur simple fait de frasques puériles et d’équipées champêtres. Citons seulement Pierrot le Fou (1965), ce road trip vers le sud avec Anna Karina. Le film de Jean-Luc Godard préfigura l’errance des Valseuses, la vulgarité en moins. Une tare dont, à ma connaissance, l’acteur sut toujours se tenir éloigné.
Enfin, son physique de boxeur élégant en faisait un homme sûr de lui et dominateur. Belmondo montre que les jolies femmes ne sont pas réservées aux beaux garçons, qu’elles sont à prendre à qui sait les ravir à l’appétit des autres. Même interprétées au second degré, ses attitudes, sublimées par son torse, suintent la puissance du mâle, comme dans Le Magnifique (1973), parodie de James Bond. De bons dialogues sculptent cette image dans le texte : « Dis donc, comment on dit p’tit con dans sa langue ? », demande-t-il à Hélène (Nicole Calfan) dans Le Casse (1971). « Bébel » « emballe » et souvent de manière animale et expéditive. On ne traite plus les femmes ainsi à l’écran, que ce soit pour les embrasser, les emmener ou les « corriger ». De nos jours, le flambeur est cramé. Le roi de la gifle représente tout ce qui est dévalorisé : l’égo, l’audace, l'ascendant. Certaines scènes théâtralisées expriment à outrance une invincibilité masculine, comme dans Le Magnifique, où, attaqué par une meute d’assaillants, « Bébel » le désinvolte continue à téléphoner en souriant. Les aléas n’ont pas de prises sur le héros. On pense à Gérard Depardieu et à Jean Dujardin qui, dans ce registre, perpétuent cette manière que l’homme a de se jouer de ce qui lui arrive et de le prendre comme un défi.
Belmondo, un vaccin antilopette ? Oui. Dès la première dose.
La sélection
« Bébel, la vie »
Le Figaro