Barbarin :
Christianisme

Barbarin : "Cette affaire me collera toujours au visage"

Par Louis Daufresne. Synthèse n°880, Publiée le 07/02/2020
Il y a quelque chose de terrible à voir son nom flétri. Bien que la justice l’ait absous, le cardinal Barbarin ne connaît pas le « soulagement » mais une sorte de « bad trip ». Une semaine après sa relaxe, l’ex-archevêque de Lyon a accordé un entretien exclusif au Point (réservé aux abonnés) – d’où il ressort une phrase suspendue dans un soupir : « Je resterai celui qui n’a pas … » C’est le titre choisi hier par notre confrère, Jérôme Cordelier. Et le prélat enchaîne : «… celui qui n’a pas dénoncé des actes odieux. »

Cette interview montre l’écart entre vérité judiciaire et vérité tout court : l’arrêt de relaxe est technique et sans aucun effet sur l’opinion. Il donne l’impression que le cardinal s’en tire à la manière d’un Bernard Tapie, mis hors de cause dans le dossier du Crédit lyonnais en juillet dernier. Or, même disculpé, le religieux ne retrouvera pas son crédit lyonnais à lui. Le nom même de Barbarin est si entaché qu’au dictionnaire des réprouvés, on pourrait l’insérer entre Barabbas et Barbie. Le meurtrier fut relâché mais imagine-t-on le Christ relaxé par la si piètre justice des hommes (cf. LSDJ n°876) ? Quant au « boucher de Lyon », condamné en 1991, il précéda l’archevêque sur la liste des grands procès locaux. Le cardinal le dit lui-même : « J’ai écrit une lettre aux membres de ma famille qui portent mon nom pour leur demander pardon des conséquences de cette affaire. » On en est là. Et si le religieux adhère à la vérité judiciaire, il en perçoit aussi la limite : « Ce qui nous étonne, observe-t-il, c’est que les mêmes textes du Code pénal peuvent être interprétés dans des sens contraires ». Ici, on pourrait relier son propos à l’intention de La Parole Libérée : changer la loi pour la clarifier.

Si la vérité tout court transparaît dans ces lignes, le verbe n’est pas exempt de contradiction. Quand on lui pose la question : « Admettez-vous que vous ayez pu faire preuve de légèreté ? », Barbarin répond : « n’exagérons pas », alors que plus haut, il reconnaît une erreur d’appréciation : « Quand j’ai demandé à Preynat : Mais comment de telles choses sont-elles possibles de la part d’un prêtre ?, il m’a répondu : Ce n’est pas la peine que je vous explique, vous ne comprendriez pas… Là, j’aurais dû exiger, insister, et je regrette de ne pas l’avoir fait. » De même, quand le prélat affirme : « Ce n’est qu’à la fin de l’année 2014, au moment où je rencontre Alexandre Hezez, que je prends conscience, brutalement, de la réalité des actes commis (…). Je mets des mots, des gestes, hélas, sur ce qui était pour moi imprécis jusqu’alors, et je me rends compte que je n’ai pas pris les bonnes mesures ». Ou bien quand il sort cette réplique : « Y a-t-il eu silence ? Comme je l’ai dit, je regrette de ne pas avoir approfondi l’investigation avec Preynat, en lui demandant de m’écrire tout ce qui s’était passé. » À cette lecture, on se dit comme Caïphe devant Jésus : « Qu’avons-nous besoin d’autre preuve ? » Si sa légèreté n’affleurait pas, ce genre de remords ne l’assaillirait pas.

Pour se justifier, le cardinal oppose le classique « un poids, deux mesures » dont l’Église catholique s’afflige d’être régulièrement la victime expiatoire : « Des foules de gens avaient connaissance des horreurs accomplies par Gabriel Matzneff (…) on lui a même décerné un prix en 2013. L’a-t-on reproché à l’éditeur ? Non. Quand on a découvert qu’un chirurgien aurait agressé plus de 300 enfants, (…) a-t-on demandé des comptes, à l’Agence régionale de santé ou au ministre ? (…) Moi, on me traîne dans la boue. » Nul ne nie que le religieux serve de bouc émissaire et il a raison de dire qu’il eut à connaître deux cas en 2007 et 2014 et que « chaque fois, [je suis] immédiatement intervenu ». Mais ne confond-il pas ministère et Ministère ? Le sien n’a rien de commun avec les bureaucraties profanes. Si l’opinion n’attend rien d’un Matzneff ou d’un Gailhaguet, il est sain qu’elle s’offusque davantage quand un prêtre est mis en cause. Le devoir d’exemplarité isole l’homme d’Église, lui interdit de comparer ses défaillances à celles des milieux sportifs, littéraires et même éducatifs. Le catholicisme prétend être dépositaire de la Vérité et incarner un ordre supérieur indépassable, ce qui rend inepte toute symétrie avec d’autres institutions, même religieuses. Voilà pourquoi, quand le monde postchrétien est obligé de se faire justice contre le clergé, le désastre est immense pour lui. Et en retour, cette relaxe peut être comprise à tort comme la volonté d'un homme de Dieu de chercher un salut inutile dans les jugements d’une humanité déchue et pècheresse. Polyglotte à l’élocution déroutante, le cardinal Barbarin aurait-il dû s’abstenir de communiquer ? Il y a de bons et de mauvais silences... À 69 ans, l’homme n’en fit que trop l’expérience cruelle. Une de ses phrases donne toutefois à espérer : « Il n’est pas étonnant que l’Église prenne des coups. Elle en l’habitude depuis Néron et ces attaques rendront service à toute la société. »
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