
Asia Bibi, la miraculée
On peut s’étonner que la France se montre pointilleuse quand on sait que la voie légale du regroupement familial draine une masse de ressortissants étrangers sur les motivations desquels on ne s’interroge guère et dont l’État subventionne la présence. Quant au statut de réfugié politique, objet de son invitation aujourd'hui à l'Élysée, il ne fait aucun doute qu’Asia Bibi peut y prétendre. Elle en rehausse même la valeur. La Convention de Genève du 28 juillet 1951 stipule bien que « le terme de réfugié s'applique à toute personne craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Être réfugié, à l’époque de la guerre froide, c’était quelque chose : on était épris de liberté et influent et pour cette raison, on était persécuté. C’est finalement ce que reconnaît, sans le dire, l’avocat du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) Sefen Guez Guez, lorsqu’il s'interroge sur Twitter : « Faut-il que je demande à mes clients sans papier de devenir catholiques pour qu’ils soient reçus par le ministre de l’Intérieur ? » L'islam a une image aussi déplorable que le Pakistan. Du coup, quand on est musulman, il y a une présomption de culpabilité, et quand on est catholique, il y a une présomption de vulnérabilité.
Les polémiques récurrentes y sont pour quelque chose. Le 11 février, dans un entretien au Dauphiné libéré, Emmanuel Macron réaffirmait le droit de « critiquer les religions », et défendit Mila à qui « on doit une protection ». Cette adolescente de l'Isère avait dû quitter son lycée après avoir reçu des menaces de mort sur les réseaux sociaux pour ses propos hostiles à l'islam. Bizarrement, on vit le ministre de la Justice s’écarter de la ligne présidentielle. Nicole Belloubet s’écria que l’« insulte à la religion » est « une atteinte à la liberté de conscience », propos dont elle regretta plus tard « l'inexactitude ». Si on voit ce que le garde des sceaux voulut dire, le cas d'Asia Bibi rend ces propos inaudibles. Car l'humble ouvrière agricole fut condamnée à mort pour blasphème, et fut aussi condamnée à tort. En réalité, la religion est étrangère à cette histoire. Dans les media, elle le répéta : « En aucun cas (...), il ne me viendrait à l'idée d'insulter un prophète. » Le 14 juin 2009, quand Asia Bibi fut prise à partie par des voisines musulmanes à propos d’un verre d’eau, le blasphème servit de prétexte pour l’éliminer, et son mariage à trois avec Yasmine n’y fut probablement pas étranger, au-delà d'une querelle qui l'opposait au chef du village. La suite se résuma à un chemin de croix puis à un miracle, celui de survivre à huit ans de mise à l’ombre dans une cellule rikiki au sol terreux. L’affaire prit une dimension mondiale lorsque deux de ses soutiens, le progressiste gouverneur du Pendjab Salmaan Taser et le ministre des minorités religieuses Shahbaz Bhatti (catholique), périrent assassinés en 2011. Outre la médiatisation, Asia Bibi doit son happy end à son avocat musulman, Saiful Malook, qui obtint son acquittement le 31 octobre 2018 par la Cour suprême du Pakistan.
Cette loi ne figurait pas dans les textes fondateurs du « pays des purs », né du partage de l’Inde en 1947. C’est le général Muhammad Zia-ul-Haq (1924-1988) qui la promulgua en 1986 pour islamiser la société, alors que le Pakistan, tête de pont contre l'URSS, allait obtenir l'arme atomique. On peut être moderne et rétrograde... Si de simples accusations suffisent à entraîner des lynchages, personne ne fut exécuté en son nom. Sefen Guez Guez devrait le rappeler : sur 964 personnes inculpées depuis l'origine, on compte 819 musulmans (Ahmadistes inclus) et 119 chrétiens. En fait, le blasphème sert d’alibi à des règlements de comptes.
Asia Bibi rentrera-t-elle un jour au Pakistan ? Elle le souhaite. Ses sœurs, son frère, son père et sa belle-famille lui manquent. Plus que tout, sa « culture et la nourriture aussi ! » Et elle le dit : elle est fière de la justice de son pays.