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Après les émeutes, la Grande Bretagne en fait le triste bilan

Par Peter Bannister - Publié le 28/08/2024 - Southport, le 30 juillet 2024. Crédit photo : StreetMic LiveStream / Wikimedia Commons
Le Royaume-Uni vient d'être secoué par des émeutes dont les images choquantes ont fait le tour du monde. A l'heure où le pays en fait le bilan, des analyses soulignent non seulement la question sensible de l'immigration mais aussi le rôle des réseaux sociaux ainsi que des facteurs socio-économiques dans la montée de la violence.

Quelques semaines après des élections et une transition démocratique ordonnée, qui pourrait être enviée par beaucoup de pays, les émeutes du mois d'août menées par l'extrême droite ont été vécues comme un électrochoc au Royaume-Uni. Après une semaine où de nombreuses villes ont connu leur pire violence depuis 2011, le calme est revenu grâce à des arrestations rapides et des contre-manifestations paisibles. L'heure est désormais aux analyses : d'où est venu cet embrasement ? Quel a été le rôle des réseaux sociaux ? Pourquoi l'Angleterre et l'Irlande du Nord ont-elles été plus touchées que l'Ecosse et le Pays de Galles ? Et quelle a été la perception publique de cette épisode qui a bouleversé la Grande Bretagne ?

Il est vite devenu clair que l'élément déclencheur a été la désinformation en ligne suite au meurtre choquant de trois fillettes le 29 juillet à Southport au nord-ouest de l'Angleterre, tuées par couteau lors d'un cours de danse. Quelques heures plus tard, la rumeur a commencé a circulé en ligne selon laquelle la police aurait arrêté un demandeur d'asile musulman, Ali Al-Shakati, venu en Grande Bretagne par bateau en 2023 et surveillé par les services de renseignement. On ne connaît toujours pas l'origine de ces éléments purement fictifs : la police pakistanaise a arrêté Farhan Asif de la chaîne Channel3 Now sur X en lien avec ces fausses informations, mais Asif a dit qu'il les avait copiées d'autres sources. En réalité, la police avait arrêté Axel Rudakubana, né à Cardiff à des parents rwandais, mais selon la loi britannique, son nom ne pouvait pas être divulgué tout de suite à cause de son âge (17 ans). Entretemps, des militants très suivi sur X, dont Tommy Robinson (fondateur de l'English Defence League) se sont emparés des spéculations pour créer un récit incendiaire et anti-islamique, repris par les premiers émeutiers à Southport le 30 juillet. Une spirale de violence s'est enclenchée (amplifiée par des messages en ligne souvent encryptés) : dans l'espace de quelques jours, des affrontements avec la police ont eu lieu dans des dizaines de villes et deux hôtels à Rotherham et Tamworth où des demandeurs d'asile étaient hébergés ont été attaqués.

Il est désormais clair que, si la tragédie à Southport a été le prétexte pour le désordre qui a suivi, les émeutes ont eu des causes plus profondes qui incluent mais ne se limitent pas à l'immigration. Plusieurs analyses ont remarqué une corrélation nette entre les affrontements et les conditions socio-économiques des villes concernées. Les émeutiers ont pu cibler les demandeurs d'asile parce que l'ancien gouvernement conservateur les avait hébergés dans les hôtels peu chers de ces villes pendant l'étude de leur cas, afin de réduire les coûts. Facilement identifiables, ils sont devenus un « paratonnerre » (lightning rod) pour des tensions déjà existantes dans ces zones urbaines de « broken Britain  », des boucs émissaires idéaux par une partie de la population locale qui se sent défavorisée pour diverses raisons. Le rôle de cette colère de fond a été particulièrement évidente à Belfast, où des émeutes avaient déjà eu lieu au mois de juillet, parfois impliquant des enfants de 6 ou 7 ans.

Paradoxalement, pour ceux qui voudraient voir un lien direct entre le nombre d'immigrants et les émeutes, les minorités ethniques ne représentent que 3,45 % de la population en Irlande du Nord. Bien moins qu'en Ecosse (7,13 %) et au Pays de Galles (6,9 %), qui n'ont par contre connu aucune poussée de l'extrême droite. Pour beaucoup de commentateurs, les appels identitaires de Tommy Robinson à une insurrection « britannique » ont trouvé un écho chez les ultra-loyalistes historiques d'Irlande du Nord, mais beaucoup moins chez ceux qui se perçoivent d'abord comme Ecossais ou Gallois. A Edimbourg ou Cardiff, la chanson des émeutiers Rule Britannia représente une nostalgie post-impériale avant tout anglaise.

La réaction des citoyens britanniques aux émeutes a été assez complexe. Selon un sondage de YouGov, très peu (7 %) approuvent la violence et seulement 12 % estiment que les émeutiers représentent l'opinion majoritaire au Royaume-Uni. De l'autre côté, 33 % ont exprimé un certain niveau de soutien pour les manifestations paisibles déclenchées par les meurtres à Southport. Selon IPSOS, l'immigration est redevenue la question la plus importante en Grande Bretagne pour la première fois depuis 2016 (devançant le système de santé et l'économie).

Pour l'instant, l'approche de Keir Starmer face aux émeutes a surtout été sécuritaire, essayant d'accélérer les procès des « voyous ». Il sait pourtant qu'il ne pourrait pas ignorer la pression pour faire baisser le flux migratoire vers le Royaume-Uni. Tout comme ses prédécesseurs conservateurs, Starmer entend combattre l'immigration illégale, entamant notamment des discussions avec Georgia Meloni au sujet d'une collaboration de la police britannique avec Europol contre les passeurs. Les optimistes y verront peut-être un signe d'espoir dans la mesure où ce dialogue présuppose la volonté de dépasser les clivages politiques en Europe dans l'intérêt du bien commun - une volonté de dépassement plus urgente que jamais.

La sélection
The public reaction to the 2024 riots
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